Et si c’était la fin du « privilège exorbitant » du billet vert ? Valéry Giscard d’Estaing avait employé cette formule à Tokyo, en 1964, pour dénoncer la toute puissance du dollar sur les autres devises. Depuis, la monnaie américaine n’a cessé de consolider sa position dominante.
Cependant, le contexte économique et géopolitique évolue et certaines nations envisagent sérieusement un avenir sans dollar. La dédollarisation est-elle une douce utopie ou une réalité imminente ? Retour sur les forces et les futurs défis de la devise américaine.
Petite histoire de l’hégémonie du dollar américain
Tout commence à la fin de la Seconde Guerre mondiale alors que les gouvernements alliés dressent le bilan désastreux de leur économie respective. Les États-Unis, en revanche, profitent de leur triomphe militaire et possèdent les plus grandes réserves d’or de la planète.
C’est dans ce contexte que les représentants de 44 pays se réunissent à Bretton Woods, en juillet 1944, pour discuter de l’avenir des finances mondiales. Après des semaines de débats houleux, le dollar devient la monnaie des transactions internationales et les États-Unis prennent la tête du nouvel ordre économique mondial.
Le cours du dollar est ainsi fixé à 35 $ l’once d’or et celui des autres monnaies s’établit par rapport au billet vert.
Depuis, la devise américaine s’est imposée comme la monnaie de réserve la plus utilisée au monde. Les banques centrales accumulent au fil des décennies des réserves de cette valeur refuge afin de résister à des périodes d’instabilité.
Malgré des crises financières, la suprématie monétaire du dollar demeure intacte sur le marché des changes comme sur celui des matières premières. Pourtant, le concept de dédollarisation ne cesse de gagner du terrain.
Qu’est-ce que la dédollarisation ?
Définition du concept
La dédollarisation fait référence à la volonté d’une partie des pays et acteurs économiques de diminuer leur dépendance face au dollar, dans le commerce international ou pour constituer leur réserve monétaire.
Pour contrer la monnaie américaine, certains privilégient l’utilisation d’une autre devise ou l’accumulation de métaux précieux comme l’or. En 2022, la demande d’or des banques centrales a explosé et 2023 risque d’établir de nouveaux records.
Inconvénients de la domination du dollar pour le reste du monde
Pourquoi l’idée d’un avenir sans domination du dollar est-elle séduisante ? L’hégémonie de la devise américaine pèse sur les nations dépendantes. Celles-ci subissent de plein fouet les nombreux changements dans la politique monétaire et notamment les hausses des taux d’intérêt décidées en période d’inflation.
De même, les fluctuations soudaines du dollar sur le marché des changes peuvent exacerber les crises financières régionales et les difficultés d’approvisionnement en matières premières.
Par ailleurs, les États-Unis, grâce à leur monnaie, disposent d’un pouvoir de sanction inégalé. Ils peuvent ainsi exclure des entreprises ou des nations entières de son système monétaire et obliger les banques étrangères à appliquer cette législation. Les États concernés se retrouvent alors fortement pénalisés dans leurs échanges commerciaux à l’international.
Conséquences de la dédollarisation
Si le mouvement de la dédollarisation devait s’intensifier, on pourrait assister à l’émergence d’un nouvel ordre économique et politique mondial. Les États-Unis perdraient leur hégémonie monétaire au profit d’autres nations.
Toutefois, il reste difficile de réaliser des projections fiables. Des pays sans devise dominante parviennent à accroître le niveau de leur PIB, à financer leur déficit courant et à encourager la croissance. C’est le cas notamment de l’Australie. Si le dollar devait céder sa place, les États-Unis pourraient faire preuve de résilience et maintenir leur suprématie.
Quelle est la place du dollar américain en 2023 ?
En 2023, le concept de dédollarisation a le vent en poupe, pourtant la position du billet vert reste prépondérante.
Premiers signes du processus de dédollarisation
La stratégie américaine de recours systématique aux sanctions suscite du mécontentement, y compris chez des partenaires historiques comme la France. En effet, les lois extraterritoriales parviennent à supplanter les dispositifs légaux nationaux. Ce pouvoir envahissant incite les États à rechercher des alternatives.
Récemment, le gel des réserves de devises russes a accentué ce phénomène qui constitue un acte fort de la militarisation du dollar. On assiste à des alliances économiques régionales et des accords commerciaux bilatéraux dans une autre devise ainsi qu’à une véritable ruée vers l’or des banques centrales.
La Banque populaire de Chine et la Banque centrale de la Fédération de Russie achètent régulièrement de l’or en vue de grossir leur stock et de se préparer à une éventuelle dédollarisation.
Principale monnaie de réserve en 2023
Si de nombreux États rêvent de se détourner du dollar, dans la pratique, ce n’est pas si simple. Le processus de dédollarisation est long et pour l’instant, le billet vert conserve son hégémonie.
Le dollar a l’avantage d’être liquide, il est très facilement convertible dans une autre devise. Les investisseurs ont confiance dans cette monnaie tout comme une majorité de pays qui détient des réserves en dollars pour protéger l’équilibre de leur économie.
La prépondérance économique et militaire des États-Unis entretient sa puissance monétaire et résiste aux tentatives de déstabilisation de ses détracteurs. La part du dollar dans les réserves de change reste majoritaire (à 59 %).
Quel est l’impact des BRICS sur la dédollarisation ?
Les BRICS représentent un groupe composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud. Les chefs d’État se réunissent avec l’objectif de défendre les intérêts des pays dits « émergents » auprès des institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale.
Influence d’un groupe en pleine expansion
Le PIB combiné des BRICS s’élève à 26% de l’économie mondiale et leur population avoisine les 3,24 milliards d’habitants. Le groupe prévoit de s’étendre à d’autres pays en janvier 2024, avec l’adhésion de l’Iran, l’Argentine, l’Arabie Saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Éthiopie.
Ces pays ont connu une croissance économique rapide au cours des dernières décennies, renforcée par d’importantes populations, d’abondantes ressources naturelles et des politiques innovantes. Leur influence grandissante favorise la remise en question de la domination du dollar.
Néanmoins, il existe de fortes disparités au sein des BRICS, voire des conflits latents, en particulier entre l’Inde et la Chine. Ces États possèdent également une relation différente avec les nations occidentales et ne partagent pas forcément le même positionnement politique.
Une nouvelle monnaie de réserve : effet d’annonce ou véritable projet ?
Lors du dernier sommet des BRICS, la question d’une nouvelle monnaie commune adossée à l’or, pour contrer le dollar, a refait surface. Elle leur permettrait de s’affranchir du risque de sanctions américaines. Cette volonté émane avant tout de la Russie dans un contexte géopolitique complexe.
De plus, le projet reste encore flou et sans réel fondement. L’approche la plus vraisemblable consisterait à voir émerger une devise plus forte au sein du groupe. Toutefois, parmi les cinq monnaies en présence, seul le yuan peut avoir des ambitions internationales.
Quelle monnaie pour concurrencer le dollar ?
Si le dollar s’affaiblit dans les réserves mondiales, c’est au profit de plusieurs devises comme l’euro et le yuan, dans un souci de diversification.
Place de l’euro dans le processus de dédollarisation
Face à l’hégémonie du billet vert, l’euro fait preuve de résilience. Elle reste la deuxième monnaie la plus utilisée au monde et se fait une place dans les réserves de change (20 %) et les transactions internationales.
Cependant, l’euro demeure moins attractif que le dollar et ne possède pas le même effet refuge. La monnaie est principalement pénalisée par la situation économique et monétaire actuelle. La pandémie, l’inflation, la guerre en Ukraine, les tensions sur le marché de l’énergie impactent plus fortement la zone euro.
Puissance de la Chine et du yuan dans l’économie mondiale
Pour les spécialistes, la monnaie de réserve non occidentale à surveiller est sans conteste le yuan. La Chine affiche une croissance de son PIB spectaculaire et son excédent commercial ne cesse de battre des records. Certains pays comme le Brésil, la Russie ou l’Inde n’hésitent pas à commercer en yuan.
Pourtant, la devise ne représente qu’une très faible part des réserves mondiales. La Chine garde son système monétaire sous contrôle et tente de maîtriser ses risques financiers, comme ceux liés au secteur immobilier. De plus, ses actifs sont largement libellés en dollars. Une trop forte dépréciation de la devise américaine affecterait leur valorisation.
Un vent de changement semble souffler sur le système monétaire international. La dédollarisation est perçue comme un mouvement inévitable pour mettre fin au pouvoir de sanction tout puissant des États-Unis.
Néanmoins, dans les faits, le billet vert reste prédominant dans les réserves mondiales et les transactions financières. Aucun vrai champion ne serait prêt à challenger son hégémonie et à prendre sa place dans un futur immédiat. On pourrait plutôt assister à une multipolarisation monétaire, avec des suprématies régionales de certaines devises (euro, yuan, yen, etc.), favorisée par le développement des monnaies numériques des banques centrales.
En parallèle, on observe une tendance immuable : l’achat d’or en période de crise et d’incertitudes. Les investisseurs comme les grandes nations n’hésitent pas à se tourner vers le métal précieux pour stabiliser leurs positions. Découvrez comment acheter des pièces d’or en toute sécurité.