Lorsqu’on décrit une monnaie, on pense à son poids, son métal, son diamètre, son avers ou son revers mais, il est vrai, on pense rarement à la tranche. En fait qu’est-ce que c’est ? On pourrait la définir comme la surface de l’épaisseur du flan sur son pourtour. Quel intérêt présente-t-elle ? On peut considérer aujourd’hui que cette tranche est « la troisième face » d’une monnaie.
Un peu d’histoire
Jusqu’au XVII° siècle, la tranche des pièces de monnaie était, presque toujours, laissée brute, irrégulière, sans ornement. Quelques exceptions cependant avec des fabrications de monnaies coulées, ou de pièces dont la tranche est volontairement découpée en dents de scie, comme certains deniers de la République romaine. Avec l’apparition de la médaille frappée, notez que celle des médailles était presque toujours lisse.
Mais pourquoi s’intéresser à cette partie, à priori insignifiante, des monnaies ? A cause d’un phénomène connu sous le nom de « rognage ». En effet, jusqu’à une période finalement assez récente, les pièces de circulation courantes pouvaient être d’or ou d’argent. Ne portant pas, jusqu’à la Révolution, de valeur faciale, elles avaient un cours proportionnel à leur poids de métal précieux. Or, certaines personnes, parfois même les changeurs eux-mêmes, enlevaient un peu de métal par limage sur chaque pièce, et les remettaient ainsi « affaiblies », en circulation. C’est ce que l’on appelait le « rognage ». Il se faisait surtout sur la tranche car, sur une des faces, il aurait ostensiblement altéré la gravure.
C’est pourquoi, au XVII° siècle, un ingénieur français nommé Castaing, inventa une « machine à marquer sur la tranche », qui permettait d’y mettre une légende ou une succession de signes, rendant le rognage impossible, ou du moins bien visible. Il s’agissait de deux lames d’acier, portant en creux ce que l’on souhaitait y voir figurer (symboles, légende…). L’une est fixe et l’autre mobile. On y place un flan (rondelle de métal non frappée) entre les deux et, à l’aide d’une manivelle, on le faisait tourner entre les deux lames jusqu’à ce que la pression y ait inscrit la légende ou les dessins. On disait que, grâce à cette technique assez simple, un homme pouvait ainsi graver la tranche de 20 000 flans par jour.
Cette technique fut utilisée jusqu’au début des années 1830, avec l’adoption de la « virole brisée » qui permet que la tranche des flans ne soit pas marquée avant la frappe mais d’imprimer les deux faces et la tranche en une seule et même opération. En fait, comme pour les coins d’avers et de revers, la légende est gravée en creux dans une sorte de collier de métal (ou virole) dans lequel vient s’insérer le flan. Lors de la frappe, les deux faces prennent l’empreinte et l’écrasement du métal le fait pénétrer dans les inscriptions figurant sur la virole. Celle-ci s’ouvre ensuite automatiquement en plusieurs parties pour libérer la pièce terminée. En fait, la technique de la virole aurait été mise au point dès 1550 par un certain Aubin Olivier. On en retrouve l’usage pour la frappe du célèbre « Ecu de Calonne », du Suisse Jean Pierre Droz. Mais, compte tenu de sa complexité, elle fut sans cesse testée et perfectionnée pour parvenir à une véritable production industrielle seulement au XIX° siècle.
Les marques utilisées
On se rend rapidement compte que le marquage qui va être apposé sur la tranche peut être de multiples sortes. Tout d’abord, cet usage fut quasi uniquement utilisé sur certains piéforts, avec soit des cannelures, soit, sous Louis XIII par exemple, la légende « EXEMPLUM PROBATI NUMISMATIS » ou « LUDOVICO XIII MONETAE RESTITUTORI ».
Les cannelures, qui deviendront des stries, ont été assez largement utilisées, tout d’abord sur les monnaies de faible épaisseur (ce qui ne permettait pas d’inscrire une légende), puis sur un nombre croissant de pièces dès le début du XX° siècle. Mais, dès l’apparition du marquage, c’est une tranche dite « cordonnée » (en forme de corde) qui est le plus souvent utilisée, sur l’or comme sur l’argent. A partir de 1684, la légende « DOMINE SALVUM FAC REGEM » en relief commence à apparaître sur les écus et demi-écus d’argent.
Avec la Révolution apparaissent des légendes en français : tout d’abord « LA NATION LA LOI LE ROI », pendant la royauté constitutionnelle, puis la légende « LIBERTE EGALITE » à partir de la Convention et « GARANTIE NATIONALE » sous le Directoire. Avec Bonaparte puis Napoléon I° c’est « DIEU PROTEGE LA FRANCE » qui les remplace, sur l’argent (5 et 2 francs) comme l’or. Avec le retour de la royauté, Louis XVIII puis Charles X opteront pour un retour au «DOMINE SALVUM FAC REGEM » de leurs prédécesseurs. (1 franc, 2 et 5 francs, 20 francs). Louis Philippe et Napoléon III reviennent à « DIEU PROTEGE LA FRANCE » légende qui ne sera pas modifiée lors des émissions de la Révolution de 1848 (en dépit du changement des types monétaires), ni celle de 1870 et sera frappée sous la III° République jusqu’en…1906 (20 francs or au Coq).
Avec la séparation de l’Église et de l’État, ce n’était plus possible ! Ce sera donc « LIBERTE EGALITE FRATERNITE » qui apparaîtra. Elle survivra aux changements monétaires divers mais ne sera plus visible qu’épisodiquement comme, par exemple, sur la 5 francs Semeuse en argent (en relief de 1960- 1969) ou la 10 francs Mathieu (en creux de 1974 à 1987, et même 1988 avec la 10 francs Roland Garros). Dernière apparition de la légende écrite sur les 10 et 50 francs Hercule sur la tranche desquelles apparaît une série de symboles représentant des métiers. Pour une majorité de pièces, la tranche sera désormais lisse ou cannelée.
Et aujourd’hui ?
Depuis son lancement, journalistes et même spécialistes ne cessent, à propos de l’Euro, de parler de « monnaie unique ». Ce n’est, bien entendu, pas l’avis des collectionneurs ou des simples curieux qui s’attardent un instant à regarder les pièces en euro qu’ils ont dans leur porte-monnaie. Car, si le revers, qui porte la valeur faciale de la monnaie, est réellement commun à toutes les émissions des pays de la zone Euro, l’avers est différent pour chaque pays. Étrangement, il en est de même pour la tranche. Bien sur, on est loin, ici, des risques de « rognage » ! Ces inscriptions ont, en fait, un double but. Tout d’abord il s’agit d’un élément de sécurité supplémentaire destiné à lutter contre la contrefaçon. Ensuite, grâce à ces différences très palpables, cela constitue aussi un moyen de reconnaître plus aisément les pièces pour les mal-voyants.
Des caractéristiques différentes pour les tranches des pièces ont été mises en place pour permettre aux malvoyants de différencier les pièces. C’est pourquoi, de la pièce de 1 centime à celle de 1 euro, les tranches de chacune des coupures métalliques en euro ont les mêmes caractéristiques. Il n’y a, en fait, qu’une seule exception, celle de la pièce de 2 euro.
Même si la base reconnaissable est constituée d’un ensemble de rayures fines, elle est « insculpée » de textes, de chiffres ou de symboles. Et là, on peut retrouver plusieurs interprétations de cette tranche. Car la Banque Centrale Européenne stipule pour cette tranche « Une gravure en creux sous de fines cannelures », n’imposant donc pas les caractéristiques précises de cette « gravure en creux », sur laquelle chaque pays peut donc exercer sa liberté d’expression.
Attention ! Les puristes vous parleront de variété A et B. En fait, lorsque vous observez la tranche de la pièce en la tenant entre deux doigts, elle peut être lisible avec la partie commune en haut ou en bas. Cette différence n’est pas un choix délibéré, mais seulement la manière dont la frappe est effectuée. Elle n’influe pas réellement sur la rareté des pièces. Notez que ces différentes tranches sont visibles aussi bien sur les pièces de 2 euros « communes » que sur les 2 euros commémoratives.
La tranche la plus commune
C’est celle adoptée par la Belgique, l’Autriche, l’Espagne, l’Irlande, le Luxembourg, Monaco ou la France. Il s’agit d’une succession de deux étoiles encadrant le chiffre 2, visible alternativement à l’endroit ou à l’envers, et répétée 6 fois. Notez que, sur une tranche complète, la plus grande partie des étoiles frappées en creux sont complètement évidées et que, une d’entre elles, possède un cœur en relief. Pour l’Italie, le Vatican et Saint Marin (toutes frappées par l’hôtel des monnaies de Rome, la Zecca) il n’y a pas 2, mais une seule étoile entre chaque chiffre 2, répétée 6 fois.
Les autres tranches
Pour l’Autriche, on retrouve un peu l’inscription « standard ». Mais, d’une part, elle est répétée non 6 fois mais 4 fois. Et, d’autre part elle mentionne « 2 EURO » entourés de 3 étoiles.
Remarque un peu similaire pour Chypre, qui va alterner deux fois des mentions en écriture romaine et grecque, c’est à dire « 2 EURO 2 EΥΡΏ ».
L’Allemagne a adopté une tranche portant la devise « EINIGKEIT UND RECHT UND FREIHEIT » (Unité, Justice, Liberté) et l’aigle fédéral, emblème du pays.
La Grèce a opté pour l’inscription « ΕΛΛΗΝΙΚΗ ΔΗΜΟΚΡΑΤΙΑ »(République Hellénique).
Pour la Lettonie, la légende est DIEVS*SVETI*LATVIJU (que Dieu bénisse la Lettonie).
Les Pays Bas ont fait graver « GOD*ZIJ*MET*ONS* » (que Dieu soit avec nous).
Le Portugal présente une tranche plus originale avec 5 armoiries stylisées du pays alternant avec sept tours ou châteaux.
La Slovénie y reprend tout simplement le nom du pays, c’est à dire « SLOVENIJA » et un point.
Même choix pour l’Estonie qui inscrit deux fois « EESTI », tête bêche, séparés par deux cercles.
Et pour la Slovaquie qui y porte « SLOVENSKA REPUBLIKA » suivi d’une étoile, d’une feuille et d’une autre étoile.
Pour Malte, le même chiffre 2 est utilisé en tête bêche 6 fois mais les étoiles sont remplacées… par des croix de Malte !
Cas Particulier
La Finlande se distingue des autres par l’adoption de plusieurs types de tranches. La pièce « normale » porte le nom du pays en Finnois et en Suédois (les deux langues officielles du pays) « SUOMI FINLAND » et trois têtes de lions.
Mais trois autres tranches ont été utilisées pour les monnaies commémoratives. En 2005, la pièce commémore le 50° anniversaire de l’admission de la Finlande à l’ONU; on trouve la légende « YK 1945- 2005 FN et trois têtes de lions. En 2007, c’est le 50° anniversaire du Traité de Rome qui porte « ROMFÖRDRAGET 50 ÄR EUROPA ». Enfin, en 2009, pour les 10 ans de l’Euro la tranche porte « TALOUS – JA RAHALIITTO EMU ».
Notez une grande rareté. Lors des essais réalisés à l’hôtel de Monnaies de Pessac (près de Bordeaux) préalablement à la frappe définitive, une tranche reprenant la devise de la République française « LIBERTE EGALITE FRATERNITE » a été testée ainsi que des tranches reprenant (un peu comme pour les pièces de 1 euro), 5 séries de 19 stries fines séparées par une surface plate.
Et pour les médailles ?
La tranche des médailles, comme celle des jetons, est le plus souvent lisse. Néanmoins presque toujours les médailles françaises portent sur la tranche des poinçons apposés à la main, en creux. On y trouve le poinçon de la Monnaie de Paris (la corne d’abondance), un poinçon indiquant la nature du métal et parfois une date. Le poinçon relatif à la nature du métal est important car, d’une part, avec la patine de l’âge on peut aisément confondre un cuivre avec un bronze et, d’autre part, compte tenu des traitements de surface, on pourrait confondre du vermeil avec de l’or. La date, qui figure tout de même plus rarement, peut indiquer qu’il s’agit d’une refrappe, beaucoup plus récente que celle figurant éventuellement sur le modèle original dont il aurait été trop onéreux de modifier les coins.