Le système de l’étalon-or a fonctionné des années 1870 à 1923. Issu de l’échec du système bimétallique, il ne survivra pas à la crise économique et financière issue de la Première Guerre mondiale.
Ce qu’il faut retenir :
- Les avantages de l’étalon-or sont la pacification des relations internationales, la discipline budgétaire et monétaire, la stabilité des prix à long terme et l’auto-équilibrage de la balance des paiements ;
- Les inconvénients de l’étalon-or… restent à prouver !
Qu’est-ce que l’étalon-or ?
Le principe de l’étalon-or (gold standard, en anglais) est que le métal jaune est l’unique référence des devises, dont la valeur est définie par un poids d’or fixe. C’est pour cette raison que l’on parle d’étalon-or : le métal joue le rôle d’unité de compte, de maître étalon.
Les taux de change entre les différentes monnaies sont donc fixes, car déterminés par leurs valeurs respectives en or. En période de crise monétaire, ils sont réajustés par une dévaluation, c’est-à-dire que les autorités publiques diminuent la valeur officielle de leur monnaie en poids d’or.
Au plan national, toute émission monétaire a lieu avec une contrepartie et une garantie d’échange en or. C’est l’adoption de ce système monétaire qui a poussé les banques centrales des pays l’ayant rejoint à constituer des réserves d’or officielles.
Il s’ensuit que les billets émis par les banques centrales doivent être couverts (en grande partie) par les réserves d’or de ces dernières. En pratique, les billets de banque sont convertibles en pièces d’or, et inversement.
Au plan international, l’or constitue la monnaie privilégiée pour le règlement des échanges commerciaux.
Un régime d’étalon (monométallique ou bimétallique – or et argent) s’oppose ainsi à :
- Un régime de monnaie fiduciaire, dont la valeur repose largement sur la confiance accordée par le public à l’action des autorités publiques ;
- Et à un régime de changes flottants, dans le cadre duquel les devises évoluent les unes par rapport aux autres en fonction de l’offre et de la demande, s’appréciant ou se dépréciant librement vis-à-vis des autres devises.
Ceci posé, voyons à présent quels sont les avantages et les inconvénient de ce système.
Quels sont les avantages de l’étalon-or ?
Commençons avec deux considérations assez évidentes.
La confiance dans le système monétaire et la pacification des relations internationales
Comme le soulignent Ronald Stöferle et Mark Valek, « l’or, en tant qu’actif de réserve neutre [au sens où, contrairement aux obligations du Trésor américain, il ne dépend pas d’un pays en particulier [1], ne fait pas que résoudre le dilemme de Triffin [2] : il l’élimine complètement. » L’étalon-or contribue ainsi à la pacification des relations internationales.
Au plan national, étant basé sur une valeur tangible, une monnaie marchandise, plutôt que sur la confiance octroyée à l’action des autorités publiques, l’étalon-or renforce la confiance dans la monnaie.
La discipline budgétaire et monétaire
En limitant la capacité des gouvernements à imprimer de la monnaie pour financer des déficits, l’étalon-or encourage la discipline budgétaire. C’est ainsi un excellent moyen d’éviter l’endettement excessif, réduisant ainsi le risque de crises de la dette publique. Cette contrainte induit un autre avantage majeur.
La stabilité des prix à long terme
Le régime d’étalon-or garantit une inflation faible, c’est-à-dire le fait que la monnaie conserve son pouvoir d’achat sur le long terme. Il est assez simple de le prouver. Entre 1792 et 1933, le pouvoir d’achat de 100 $ de 1792 est resté assez stable pour s’effondrer ensuite, et ce en particulier à partir de 1971.
Autrement dit, depuis 1971, la valeur de la monnaie américaine (mais en fait de toutes les devises) exprimée en or s’effondre.
Dans le chapitre 17 de l’Action humaine, l’économiste austro-américain Ludwig von Mises explique ce phénomène dans les termes que voici :
« Le fait que l’étalon-or fasse dépendre l’accroissement de la quantité d’or disponible de la profitabilité d’en produire signifie évidemment qu’il limite la possibilité, pour le gouvernement, de recourir à l’inflation. L’étalon-or rend la formation du pouvoir d’achat de la monnaie indépendante des ambitions changeantes et des théories des partis politiques et des groupes de pression. Ce n’est pas un défaut de l’étalon-or, c’est sa principale excellence. »
Venons-en à une considération un peu plus technique.
L’auto-équilibrage de la balance des paiements
Prenons l’exemple d’un pays dont la balance des paiements est déficitaire. La création monétaire étant liée aux stocks d’or de la banque centrale, ce déficit se traduit par des sorties d’or. Comme il y a moins de monnaie en circulation dans l’économie, les prix vont baisser. Cet effet déflationniste va rendre la production nationale plus compétitive, revitalisant ainsi les exportations. Le résultat de ce processus est que la balance des paiements retrouve mécaniquement l’équilibre.
Quels sont les inconvénients de l’étalon-or ?
La rigidité de la politique monétaire
Le régime d’étalon-or est moins flexible que celui d’une monnaie fiduciaire puisque sous un étalon-or, la quantité de monnaie en circulation est contrainte par la quantité d’or dont dispose le pays.
Du point de vue des partisans d’une politique monétaire active, cette caractéristique constitue un inconvénient puisque l’action du gouvernement et de la banque centrales pour tenter de stabiliser le cycle des affaires s’en trouve relativement limitée.
Pour les autres, il s’agit d’un avantage car l’étalon-or limite la capacité des autorités publiques à manipuler la monnaie.
L’étalon-or, responsable de récessions plus fréquentes et plus longues ?
Il s’agit du principal reproche formulé à l’égard des systèmes d’étalon-or.
Pour bien comprendre ce dont il retourne, portons notre regard sur le graphique ci-dessous, sur lequel les phases de récession apparaissent en rose, et les périodes d’expansion figurent en bleu. Mais auparavant, il me faut procéder un bref rappel historique : en 1933, l’administration Roosevelt a suspendu l’étalon-or pour financer son programme progressiste et acheter la sortie de la Grande Dépression à grands coups de dépenses budgétaires.
Ceci posé, regardons attentivement notre graphique. J’attire votre attention sur ce qui figure en blanc.
Entre 1857 et 2020, les Etats-Unis ont enregistré 34 périodes de récession, essentiellement avant 1933 :
Le constat est assez clair, n’est-ce pas ?
Le rose (donc les récessions) domine avant 1933, et le bleu (les périodes d’expansion) est ultra-majoritaires après 1933.
Voici les chiffres exacts, cette fois-ci sur la période 1870-2023.
Faut-il conclure de toute cela qu’un système d’étalon-or nuit à la croissance économique ? Ce serait, là, aller bien trop vite en besogne !
J’en veux pour preuve ce graphique, qui illustre la répartition du PIB mondial entre les grandes puissances économiques depuis l’an 1 jusqu’en 2017.
N’est-il pas flagrant que les États-Unis sont passés d’une économie minuscule en 1800, à la plus grande économie du monde à la fin du XIXe siècle… alors même qu’ils fonctionnaient sous des régimes bimétalliques (fondés sur l’or et l’argent), puis d’étalon-or ?
Ce dernier graphique raconte donc une tout autre histoire que le précédant graphique, n’est-ce pas ? Mais alors… comment expliquer cela ?
Une première raison en est qu’il ne faut pas confondre déflation et récession. Comme l’explique Lyn Alden : « Beaucoup d’analyses rétrospectives définissent la déflation comme une mauvaise chose et comptent les périodes déflationnistes (qui ont été nombreuses) comme des récessions. En réalité, une grande partie de la déflation a été provoquée par l’ampleur de la croissance de la productivité technologique et des nouveaux systèmes énergétiques. Une croissance énorme ».
Et pourtant les critiques de l’étalon-or voudraient vous faire croire que les Etats-Unis étaient en récession de manière presque permanente durant cette période. En réalité, ce que permettait l’étalon-or à l’époque, c’était :
- Le déroulement du processus de destruction créatrice, lequel induit une augmentation de la productivité, donc de la croissance économique ;
- De saines récessions permettant de remettre l’économie à flot après de mauvaises décisions politiques [3], tel que l’explique la théorie autrichienne des cycles économiques (ABCT). Rappelons en effet que du point de vue autrichien, « Les récessions n’étaient pas dues à l’utilisation de l’or, mais à l’ingérence du gouvernement [dans l’économie], qu’il s’agisse de la banque centrale ou d’autres intrusions (par exemple, les réglementations bancaires). Un marché libre n’est pas instable et ne fluctue pas de la sorte », comme le résume Keith Weiner. C’est ainsi que les économistes Autrichiens, mais également de Maurice Allais, expliquent l’origine de la Crise de 1929.
Conclusion
Admettons cependant que ce dernier argument des détracteurs de l’étalon-or soit valide, à savoir que ce système favorise des récessions fréquentes et longues.
Du point de vue de l’efficience économique, la question serait alors de savoir s’il est préférable pour une société d’être régie par :
- Un système d’étalon-or, qui réduit certes la marge de manœuvre des politiques budgétaire et monétaire, mais où la monnaie préserve le pouvoir d’achat…
- … ou un système de monnaie fiduciaire dans le cadre de changes flottants, où les récessions sont certes plus rares, mais où le pouvoir d’achat des monnaies est plus ou moins rapidement anéanti au travers de politiques budgétaires et monétaires qui génèrent de l’inflation.
Cette alternative revient à se poser la question de la place de l’État au sein de l’économie :
- L’État doit-il être très interventionniste dans l’économie ?
- Ou doit-il au contraire laisser un maximum de place aux forces du marché ?
Pour vous faire une idée à ce sujet, je vous invite à lire notre feuilleton consacré à « Une histoire de la pensée économique moderne », dont voici le 1er épisode.
[1] A la nuance près que les pays producteurs d’or ainsi que les pays qui en contrôlent le commerce sont quelque peu avantagés par rapport aux autres.
[2] Tout système monétaire international assis sur une devise clé unique est instable, comme l’a théorisé l’économiste américano-belge Robert Triffin avec son fameux « dilemme ». Exposé en 1960 dans le livre “Gold and the Dollar Crisis : The Future of Convertibility”, ce dilemme énonce qu’une monnaie de réserve unique implique des déséquilibres gargantuesques de la balance extérieure du pays émetteur, une situation non-durable vouée à se solder par une crise et, in fine, par la perte du statut de monnaie de réserve. La solution à ces deux problèmes consiste à utiliser un actif de réserve neutre, comme l’or.
[3] C’est l’autre grande raison qui explique qu’évoluer sous un régime d’étalon-or n’implique évidemment pas pour une économie de passer le plus clair de son temps en récession. Pour ceux qui voudraient creuser la question, ce thread explique pourquoi nous avons affaire ici à un cas d’école illustrant que « corrélation n’est pas raison ». Toute une série d’arguments expliquent en effet que la prédominance des récessions avant 1933 n’a pas grand-chose d’une conséquence directe du fait que les Etats-Unis fonctionnaient sous un régime d’étalon-or.