La France est l’un des pays où la pression fiscale est la plus élevée au monde, si ce n’est le n°1 mondial de la fiscalité. Mais à quoi sert tout cet argent ?
Ce qu’il faut retenir :
- Surprise ! Les missions régaliennes (Sécurité intérieure et Justice + Défense) ne représentent que 6,1% des ressources publiques ;
- À 56,3%, les dépenses de protection sociales se taillent la part du lion ;
- 80% des dépenses publiques ne sont pas dédiées à l’intérêt général, mais à la satisfaction d’une multitude d’intérêts particuliers, ce qui pose la question de la place que devrait occuper l’État au sein de l’économie et la société.
Combien l’État français récolte-t-il en impôts ?
Le poids et la composition des prélèvements obligatoires au sein du PIB
Commençons par définir ce que recouvrent les prélèvements obligatoires.
Selon l’INSEE, les prélèvements obligatoires (PO) sont « les impôts et cotisations sociales effectives reçues par les administrations publiques et les institutions européennes sans aucune contrepartie directe et immédiate. »
En 2023, les prélèvements obligatoires se montaient en France à 1 218 Md€, soit 43,2 % du PIB.
Ces recettes fiscales se décomposaient alors comme suit :
- TVA : 37,55% ;
- Impôt sur le revenu : 24,1% ;
- Impôt sur les sociétés : 18,4% ;
- Autres recettes fiscales brutes : 20%.
Ceci posé, à votre avis : est-ce que l’État nous ponctionne un peu, beaucoup, énormément… à la folie ?
Pour répondre à cette question, je vous propose de comparer notre situation avec celles de nos voisins, proches et lointains…
Sommes-nous plus imposés en France que dans le reste de l’UE ?
En 2022, la France détenait le record des prélèvements obligatoires au sein de l’Union européenne (UE). Comme l’indique l’INSEE, « en 2022, le poids des prélèvements obligatoires s’établit à 48,0 % du produit intérieur brut (PIB) en France et à 41,1 % dans l’ensemble de l’Union européenne à 27 pays. »
Autrement dit, l’État français tond ses contribuables 6,9 centimètres plus court que la moyenne européenne.
L’année 2022 fait-elle figure d’exception en la matière ? Pas vraiment. Il s’agirait plutôt d’une habitude. Comme l’explique François Ecalle [1] sur Fipeco : « Depuis le début des années 1990, la France fait partie, avec la Belgique, l’Italie et la Suède, des grands pays de l’Union européenne à 27 dont les taux de PO sont les plus élevés et se distinguent de ceux de l’Allemagne, de la Pologne, des Pays-Bas et de l’Espagne. »
Au vu de ce graphique, on constate que depuis 2015, la France est la championne incontestée de la pression fiscale en Europe. Très bien. Et au niveau mondial, qu’est-ce que cela donne ?
Sommes-nous plus imposés en France que dans le reste du monde ?
Là encore, la réponse est oui. La France a le système fiscal le moins compétitif de toute l’OCDE, c’est-à-dire de l’ensemble des pays développés.
Cette funeste situation ne date certes pas de 2022…
… mais en a-t-il toujours été ainsi ? Si l’on remonte encore plus loin dans le temps, on constate que la réponse est non. Avant la Seconde guerre mondiale, avec environ 20% de prélèvements obligatoires, notre pays ne se distinguait pas des autres grands pays développés.
Puis, avec l’arrivée de communistes au gouvernement lors de la Libération, les pratiques et les mentalités ont définitivement changé. Depuis, le grignotage du PIB par le secteur public n’a fait que s’accentuer. Et pourtant, malgré les wagons d’argent privé qui partent en direction de Bercy pour se transformer en argent public, cela ne suffit pas.
À combien se montent le déficit et la dette publique française ?
Cette « rage de l’impôt », pour reprendre le titre d’un essai de Simone Wapler dont je vous recommande la lecture, ne suffit pas à combler la rage de la dépense publique française, plus impressionnante encore.
Chaque année depuis 1974, l’État français enfile les budgets déficitaires comme des perles.
Ce laxisme endémique nous a amené à en 2023 à la situation suivante :
- Un déficit public de –5,5% du PIB en 2023 (154 Md€) ;
- Pour une dette publique de 110,6% du PIB (3 101,2 Md€).
Mais alors… où passe donc tout cet argent ?
Comment l’État utilise-t-il tout cet argent ?
Comment 1000 € d’argent public sont-ils dépensés ?
Sur la base des chiffres publiés par l’INSEE, François Ecalle a reconstitué, pour l’année 2022, comment ont été utilisés « 1 000 € de prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales), donc à quoi « l’argent public » a servi, en supposant que les prélèvements obligatoires et les autres ressources des administrations publiques financent les mêmes dépenses. » Voici le résultat :
Qu’observe-t-on sur ce tableau que je vous invite à imprimer à accrocher sur votre frigo ?
Surprise ! Sur 1 000 € de dépenses publiques, seulement 61 € (soit 6,1 % de total impôts + déficit) passent dans les missions régaliennes (Sécurité intérieure et Justice + Défense).
Soyons bon joueur et faisons comme si les « Services généraux », c’est-à-dire les dépenses d’administration publique, étaient indispensables pour faire tourner la machine régalienne : nous en avons pour 67 €, ce qui porte le total à 128 €.
Ajoutons aussi quelques réseaux et infrastructures (routes, éclairages publics, gestion de l’eau et des déchets, télécommunications), dont une gestion publique rassure la plupart des gens. Leur coût ne figure pas sur ce tableau mais je connais le chiffre pour 2019 : 68 €.
Nous arrivons ainsi à un total de 196 €…
20% de dépenses pour l’intérêt général, contre 80% de dépenses pour une multitude d’intérêts particuliers
Comme l’explique Simone Wapler dans l’ouvrage évoqué ci-dessus, ce montant représente « moins de 20% de nos impôts. 80% des dépenses publiques sont hors du champ du droit naturel. Ces dépenses ne sont pas indispensables à chacun de nous. Le minarchisme, qui correspond à seulement 20% des dépenses publiques, n’est pas cher. Au-delà, tout se discute, évidemment, dans les limites de la liberté, de la propriété et de la sûreté de chacun. De la culture, du social, de la santé, du logement, de l’éducation… réclamera l’un ou l’autre selon ses préoccupations du moment. Voilà comment se propage la rage de l’impôt inégalement réparti tant pour la charge que pour les bénéfices. »
Autrement dit, on peut considérer en étant large que 20% des dépenses publiques sont consacrées à l’« intérêt général », les 80% restant étant dédiés à la satisfaction d’intérêts particuliers.
Quid des dépenses d’éducation, de la culture ou du sport, avez-vous peut-être envie de me rétorquer ? Ne s’agit-il pas là de dépenses réalisées pour le bien commun » ?
Il me semble que non : tout les jeunes gens ne souhaitent pas faire des études jusqu’à leurs 25 ans, ni aller voir des films subventionnés au cinéma, ni jouer au football. Pourquoi alors les parents dont les enfants font des études courtes, préfèrent lire des livres et jouer de clarinette devraient-ils payer pour ceux des autres ?
Toutes ces considérations varient entre les individus en fonction de leurs préférences personnelles. En conséquence de quoi, on est en droit de questionner le fait qu’elles soient financées de manière obligatoire par chaque contribuable.
L’État fait-il bien son travail ?
Il faut ensuite se poser la question suivante : avez-vous l’impression que l’État assure correctement ses missions régaliennes ? Pour rappel, il s’agit :
- D’assurer la sécurité extérieure par la diplomatie et la défense du territoire ;
- Assurer la sécurité intérieure et le maintien de l’ordre public ;
- Définir le droit et rendre la justice.
- (J’exclus la quatrième mission qui consiste à voter le budget et à lever l’impôt, vis-à-vis de laquelle il est difficile d’avoir des doutes.)
De la même manière, pensez-vous que la qualité des autres services publics est conforme à ce qu’elle vous coûte ?
Si vous penchez pour une réponse négative, alors cela pose la question de l’efficacité de l’action publique.
L’État s’étant petit à petit immiscé dans tous les pans de notre vie quotidienne, il est de plus en plus incapable de remplir son rôle premier, auquel il consacre d’ailleurs de moins en moins de ressources.
Comme l’explique en effet François Ecalle : « Cette répartition des dépenses publiques s’est déformée de 1995 à 2022 au profit notamment des retraites, de la santé, des soutiens aux activités économiques hors transports, de la fonction « loisirs, sports et culture », de la lutte contre l’exclusion et de la protection de l’environnement. Cette déformation s’est faite au détriment notamment de la défense, de la recherche fondamentale, des transports, des services généraux, de la politique familiale et de l’enseignement. »
Au-delà des dépenses de protection sociales qui se taillent la part du lion (56,3% du total), la France est petit à petit devenue ce pays magnifique où, qu’on le veuille ou non, l’État s’occupe de nos affaires du berceau jusqu’au cercueil.
Conclusion : sommes-nous trop imposés en France ?
Au-delà des comparaisons statistiques que je vous ai proposées, la réponse dépend de chacun d’entre nous, en fonction de 3 critères :
- La place que l’État doit selon nous occuper au sein de l’économie et de la société, qui est la question n°1 que devrait se poser chaque citoyen ;
- Notre contribution personnelle à la masse des impôts et autres contributions ;
- Notre niveau d’appétence pour le masochisme fiscal.
Si vous vous interrogez sur le premier point, je vous invite à consacrer un peu de votre temps à cette série d’articles consacrée à l’histoire de la pensée économique moderne.
[1] François Ecalle est conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, ancien membre du Haut Conseil des finances publiques et animateur du site Fipeco.