Quand Nelson et William Hunt, deux magnats du pétrole, décident d’investir massivement dans l’argent, dans les années 70, on assiste au plus important coup spéculatif de l’histoire de ce métal précieux. Comment ont-ils fait ? Quelles ont été les conséquences de leur tentative d’achat de tous les stocks disponibles dans le monde ? Découvrez le récit du corner historique des frères Hunt !
L’argent comme valeur refuge
Nelson Bunker Hunt et William Herbert Hunt grandissent dans un milieu aisé avec pour modèle, la figure paternelle, Haroldson Lafayette Hunt, l’un des hommes les plus riches des États-Unis. Ce dernier fait fortune, dans les années 20, dans le pétrole et diversifie ses activités dans l’immobilier, la pharmaceutique ou encore l’agriculture.
Grâce à la richesse familiale, les deux frères se lancent, avec succès, dans le forage pétrolier, notamment en Libye. Mais, dès le début des années 70, la tendance s’inverse. Leurs profits s’amenuisent avec la prise de pouvoir et les exigences du colonel Kadhafi ainsi que sous l’effet des tensions inflationnistes mondiales. Le choc pétrolier de 1973 leur est favorable puisque le prix du baril augmente. Toutefois, ils redoutent l’instabilité économique et décident de protéger leur patrimoine en investissant dans l’argent.
Pourquoi avoir choisi le métal argenté ? Considéré pendant des siècles comme une monnaie stable, l’argent est une valeur refuge, c’est-à-dire un actif dont la valeur reste constante, voire augmente, en temps de crise. De plus, la demande industrielle s’accroît à cette époque alors que la production minière stagne.
L’argent représente donc une aubaine pour les frères Hunt, à la fois accessible et moins réglementé que l’or. En effet, depuis le décret 6102 de 1933, signé par Franklin D. Roosevelt, les citoyens américains ne sont plus autorisés à détenir de l’or sous forme de pièces et de lingots. Et la possession de certificats est possible, mais en quantité limitée.
Le corner des frères Hunt ou le rachat massif de métal argenté
Nelson et William partent en quête des stocks d’argent de la planète. Selon les données du Silver Institute, ces derniers avoisinent les 500 millions d’onces, soit environ 14 000 tonnes, en 1971. Et le prix moyen de l’once s’établit à 1,55 $.
Ils achètent massivement et entreposent le métal précieux en Suisse dans plusieurs établissements bancaires. Très vite, leur entreprise prend des allures de « corner », c’est-à-dire de tentative de manipulation du marché, par la détention d’une grande partie de l’offre. Le cours de l’argent augmente alors jusqu’à 5 $ en 1974.
Pour accélérer leurs acquisitions, ils ont besoin de liquidités et cherchent des partenaires. Les frères Hunt approchent tour à tour le shah d’Iran, des investisseurs philippins et saoudiens. Avec ces derniers, ils créent l’International Metal Investment Group en 1979 et continuent d’amasser tout l’argent physique disponible ainsi que des futures.
En janvier 1980, le prix de l’once est de 49,95 $. Nelson et William ont réussi leur pari et sont propriétaires d’une fortune colossale.
Source : LBMA
Effondrement du cours de l’argent : la chute de l’empire Hunt
Le Comex ou New York Commodities Exchange est un des marchés de métaux précieux, au même titre que la LBMA, où sont fixés les cours de l’or et de l’argent. En 1980, face à une spéculation grandissante et à la hausse du prix de l’once, il s’allie à la Réserve fédérale américaine pour tenter de stopper cette dynamique.
Le Comex impose alors des quotas limitant le nombre de contrats détenus par un même titulaire. Il augmente également drastiquement les dépôts de garantie pour les nouveaux acheteurs. Les effets ne se font pas attendre et le cours chute à 10,80 $, le 27 mars 1980. Cette journée est aussi connue sous le nom de « Silver Thursday ».
Pour Nelson et William Hunt, c’est un cataclysme. Ils doivent honorer des contrats au prix de 50 $ et empruntent plus d’un milliard de dollars aux banques new-yorkaises pour payer les appels de marge. Leur perte est estimée à 1,5 milliard de dollars.
En 1988, les frères Hunt sont reconnus coupables de manipulation illégale du marché de l’argent, de conspiration, d’escroquerie, de fraude et de violation des lois antitrust. Le tribunal les condamne, notamment, à verser 130 millions de dollars en dommages et intérêts au gouvernement péruvien qui les accuse d’avoir ruiné leur compagnie minière.
L’argent : un métal pas si facile à manipuler ?
À trop vouloir manipuler le cours de l’argent, les frères Hunt se sont brûlé les ailes. Leurs méthodes trop agressives ont fini par déstabiliser le marché du métal précieux et éveiller les soupçons des autorités. En changeant les règles, celles-ci ont piégé Nelson et William à leur propre jeu.
Les instances chargées de la régulation des marchés surveillent de près toute tentative de malversations et agissent en conséquence. De plus, influencer le prix de l’argent implique de maîtriser une série de facteurs.
Certes, l’éternelle loi de l’offre et de la demande fonctionne de façon mécanique. En rachetant une grande partie des stocks d’argent, les frères Hunt ont réussi à contrôler pour un temps l’offre. Néanmoins, face à un cours plus haut, la demande est capable de s’adapter. Par exemple, dans les années 70, les industriels ont cherché des alternatives afin de ne plus dépendre de l’approvisionnement en argent.
Il existe également une forte corrélation entre le cours de l’argent et celui de l’or. Ainsi, les deux tendent à suivre une évolution similaire et l’on peut supposer que les facteurs qui influencent le prix de l’or, impactent aussi celui de l’argent.
- Quand le dollar américain est fort, le prix des métaux précieux diminue. Les acheteurs en devises étrangères éprouvent plus de difficultés à acquérir de l’or ou de l’argent.
- En période d’inflation, les investisseurs sont tentés par les valeurs refuges pour conserver un patrimoine stable. La demande augmente et les cours également.
- Le contexte géopolitique et les incertitudes économiques contribuent à maintenir des prix élevés. Ainsi, en 1980, quelques mois seulement après le « Silver Thursday », le cours de l’argent est remonté à 25 $ au moment de la guerre entre l’Iran et l’Irak.
Plutôt que de chercher à manipuler le cours de l’argent, il serait plus sage d’en maîtriser les rouages. Dans une stratégie globale d’investissement, acheter de l’argent est judicieux. Il permet de diversifier son portefeuille et d’acquérir un métal aux propriétés convoitées par différentes industries (électronique, énergies vertes, automobile, etc.).