Voici maintenant 40 ans qu’on avait oublié que l’inflation faisait partie intégrante du mouvement cyclique des monnaies. Pourtant, l’histoire regorge d’épisodes inflationnistes qui se sont inscrits dans le processus monétaire, non pas comme des accidents imprévisibles, mais au contraire comme l’évolution logique du processus de dévaluation commun à toutes les monnaies. Un processus d’ailleurs souvent accentué par les détenteurs du pouvoir de chaque époque, dans le but de financer des guerres, de s’adapter à une croissance économique, géographique ou même démographique, voire tout simplement pour s’enrichir. Avec comme conséquence inévitable l’appauvrissement de tout le monde.
Petit retour, donc, sur quelques moments de l’histoire humaine au cours desquels l’inflation a accompagné, et même parfois entraîné, certains des plus grands bouleversements sociaux et économiques connus.
L’apparition de la monnaie
Les premières traces de commerce organisé remontent à 6000 ans avant notre ère, mais la monnaie n’apparaît que bien plus tard, aux alentours du VIIe siècle avant J.C. (environ -630) sous la forme de pièces d’or frappées en Lydie, une région de l’actuelle Turquie. Très vite, toutes les sociétés de l’époque comprennent l’intérêt d’un étalon de valeur normalisé, utilisable — ou en tout cas convertible — un peu partout, ceci afin de faciliter à la fois les échanges internationaux et la gestion des économies intérieures. En effet, jusque-là, toute l’économie était basée sur le troc, avec le plus souvent d’énormes difficultés logistiques pour définir des équivalences entre la multitude des biens échangés.
La valeur monétaire remplace la valeur d’usage
Dès lors, les prix des produits furent intimement liés, non plus à leur valeur d’usage, mais à la valeur de la monnaie qui permettait de se les procurer. Pour cela, il fallait que cette monnaie soit la plus stable possible afin de servir de référentiel accepté par tous. C’est la raison pour laquelle l’or, mais surtout l’argent furent choisis pour constituer la monnaie, leur inaltérabilité et leur rareté les rendant précieux par eux-mêmes et leur conférant une valeur universellement reconnue.
Conséquence directe de ce nouveau système, si jusqu’ici le prix des produits variait en fonction des quantités produites, lesquelles dépendaient plus ou moins directement des aléas climatiques ou de l’impact d’éventuels conflits sur l’approvisionnement, c’était désormais la quantité mais aussi la qualité de la monnaie qui allait déterminer le coût des biens et services.
Moins de métaux précieux pour plus de monnaie en circulation
Ainsi, tant que la monnaie était « honnête », c’est-à-dire qu’elle renfermait la quantité de métal précieux qu’elle était censée contenir, les prix restaient stables. Ce fut le cas pendant 700 ans, jusqu’au 1er siècle de notre ère, quand l’empereur Néron décida un « ajustement » de la composition de la monnaie dans le but de redresser l’économie que les dépenses impériales avait ruinée. L’aureus et le denier, les unités monétaires de référence en vigueur dans tout l’Empire Romain, passèrent ainsi de 8,2 à 7,3 grammes d’or pour le premier et de 3,9 à 3,4 grammes d’argent pour le second. Toutefois, cette première « dévaluation » passa quasiment inaperçue, car le métal manquant était remplacé par du cuivre ou du fer en quantité très raisonnable, ce qui ne modifiait finalement ni l’aspect ni les caractéristiques générales des pièces.
Par la suite, bien des empereurs suivront son exemple, sauf qu’ils réduiront chaque fois un peu plus la quantité de métaux précieux dans les monnaies au gré de leurs besoins. Jusqu’à ce que la « dépréciation » devienne finalement trop flagrante.
Comment la dépréciation de la monnaie fait monter les prix
Car, en passant de 100 à 80% de métal précieux, principalement sur les pièces d’argent, puis à 70, 50, 20, jusqu’à descendre à 4% seulement sous Claude le Gothique en 268, les pièces finirent par ne plus être que de vulgaires rondelles de métal grossier, corrodées et sans éclat. La monnaie perdit donc progressivement de sa valeur au cours des IIe et IIIe siècles de notre ère, occasionnant du même coup une hausse constante des prix à mesure qu’il fallait toujours plus de pièces pour atteindre la quantité d’argent voulu. La première inflation monétaire était née.
On estime ainsi qu’entre le premier et le deuxième siècle après J.C., les trois prix fondamentaux, c’est-à-dire ceux sur lesquels tout le reste se basait (le blé, l’huile et la journée de travail) ont au minimum doublé, alors qu’ils étaient restés parfaitement stables depuis pratiquement un millénaire. L’inflation devint même galopante au cours du 3e siècle, puisque les registres comptables de l’époque montrent une multiplication des prix par 35. Et par 70 dans les plus grandes métropoles de l’Empire !
Il fallut attendre la première moitié du IVe siècle et une pénurie d’argent-métal, qui constituait donc la monnaie principale dans l’économie romaine (entre l’or qui servait de réserve de valeur, et le bronze utilisé pour les petites transactions du quotidien), pour que la valeur des pièces remonte peu à peu, permettant dès lors une stabilité, puis une baisse relative des prix.
Ce déficit du métal blanc fut également décisif dans l’adoption de l’or comme monnaie principale du système financier occidental dès le début du Moyen-Âge, et ce jusqu’à la fin du XXe siècle ! Mais ça, c’est une autre histoire.
L’inflation dans l’histoire #2 : du Moyen-Âge à la Renaissance, l’excès de richesse ruine l’économie
L’inflation à travers l’histoire #3 : le Grand Siècle du surendettement
L’inflation à travers l’histoire#4 : le Siècle des Lumières invente le papier-monnaie inflationniste
L’inflation à travers l’histoire #5 : quand le XXe siècle expérimente toutes les formes d’inflation
Intéressant !
Je serai curieux de voir les autres exemples d’inflation dans l’histoire…
Les politiques non conventionnelles des banques centrales ces dernières années peuvent-elles être assimilées à ce qui a été fait dans l’Empire Romain (réduction de la quantité de métal précieux dans la monnaie) ??
Bonjour Alex et merci pour votre message !
Je pense que vous aurez la réponse à votre question concernant la politique actuelle des banques centrales dans le deuxième article de notre série, à paraître mercredi prochain.
Cela concernera les visages de l’inflation au Moyen-Âge et à la Renaissance. Vous y constaterez certainement le lien avec la politique de la planche à billets ! Faites-nous un retour quand vous l’aurez lu..
Bonjour,
Merci d’ajouter à vos sources le livre de : David Graeber – Dette : 5000 ans d’histoire
Ceci afin d’éviter ce poncif, historiquement FAUX : « En effet, jusque-là, toute l’économie était basée sur le troc ».
Merci !
Joseph