Entre les expérimentations financières en tout genre pour pallier l’insolvabilité chronique de l’État et les nombreuses calamités climatiques qui ont fortement impacté les cours du blé durant des décennies, le Siècle des Lumières fut aussi très majoritairement celui de l’inflation incontrôlable. Une inflation qui constituera d’ailleurs l’un des ferments de la Révolution de 1789.
Des signes visibles de l’inflation sur la hausse des prix
À la fin du règne de Louis XVI, la France vit encore largement au-dessus de ses moyens. L’or et l’argent circulent plutôt bien, mais de très nombreux spéculateurs sont désormais détenteurs de titres du Trésor public, qu’ils utilisent comme une forme de monnaie fiduciaire, laquelle peut s’échanger et se transmettre entre les individus, tandis que l’État continue à dépenser sur la base de recettes à venir.
En gros, tout le monde vit plus ou moins à crédit. Et à l’époque, l’un des principaux inconvénients d’un endettement chronique en dépit d’un coût de l’argent élevé, c’est que la richesse apparente en circulation se révèle bien supérieure à celle réellement disponible, ce qui se traduit immanquablement par une inflation difficile à maîtriser.
À cette inflation structurelle va en outre venir s’ajouter une inflation conjoncturelle liée aux mauvaises conditions climatiques qui entraîneront des récoltes catastrophiques tout au long du XVIIIe siècle. Ainsi, entre 1737 et 1738, le blé qui constituait la base de l’alimentation se faisant rare, les prix augmentent de 70 %. Entre 1746 et 1747, ils progressent de 87 %. Et cela s’intensifie encore les années suivantes. Finalement, la période allant de 1765 à 1780 sera marquée par des hausses de prix qui pourront parfois atteindre, voire dépasser, 100% par an. Une situation très difficile dont les plus fragiles ont bien évidemment fortement pâti, ce qui a pu contribuer à les rendre plus réceptifs aux théories révolutionnaires.
Premier papier-monnaie… et premier krach !
Pourtant, dès les premières années du règne de Louis XV, on testa différentes méthodes pour retrouver un certain équilibre budgétaire.
Ainsi, en 1720, John Law alors ministre des Finances du royaume de France sous la régence de Philippe d’Orléans, tente la création d’une banque centrale sur le modèle anglo-saxon et lance la première émission de papier-monnaie en France. Mais c’est un échec cuisant, causé paradoxalement par son efficacité à enrichir les négociants : en effet, face au succès grandissant de ce système, ces « billets » qui sont en quelque sorte des actions de la banque de Law voient leur cours multiplié par 40, passant de 500 à 20 000 livres. Les plus gros détenteurs décident alors de prendre leurs bénéfices en or et en argent. Sauf que la banque ne possède pas autant de monnaie métallique. Pire encore, on apprend qu’elle a dès le départ imprimé davantage de papier-monnaie qu’elle n’avait réellement d’or et d’argent en dépôt.
C’est sans doute le premier krach de l’histoire française, qui ruine la majorité des déposants et fait perdre toute confiance dans la monnaie. Seul point positif, si l’on peut dire, la dette de l’État a diminué de 50%… la charge en ayant été finalement reportée sur les épargnants floués.
Néanmoins, malgré l’échec du système Law, plusieurs autres innovations du même genre virent le jour durant tout le XVIIIe siècle :
- 1737-1739 : le ministre Philibert Orry sollicite des créanciers suisses et hollandais par l’intermédiaire de rentes viagères… et de loteries ! Echec.
- 1749 : le ministre Machault d’Arnouville lance la « Caisse générale pour le remboursement des dettes de l’État » alimentée par un nouvel impôt payable par tous, le vingtième. Échec (mais l’impôt est conservé…)
- 1756-1763 : la Guerre de Sept ans oblige Louis XV à s’endetter à nouveau auprès des fermiers généraux qui n’acceptent que sous la garantie formelle d’être remboursés à court terme. Ce qui vide le Trésor public en 1769.
- 1763 : création de la Caisse des Amortissements, finalement récupérée par le Parlement de Paris qui en fera bon usage… mais pas forcément dans l’intérêt général.
Quand on teste l’austérité budgétaire pour contenir la crise
Lorsque Louis XVI arrive au pouvoir, il nomme Turgot à la tête des finances du Royaume et celui-ci propose alors de restaurer la confiance dans l’État en mettant en place un projet ambitieux. Il décide notamment de ne plus faire appel à l’emprunt, pour « assécher » la masse monétaire excédentaire et, en contrepartie, de couper drastiquement dans les dépenses publiques. Il supprime notamment certains services qu’il juge trop coûteux et dépassés, comme par exemple la Police des grains Royale, laquelle est chargée d’empêcher la circulation anarchique des récoltes d’une région à l’autre.
C’est cette décision qui va déclencher une véritable Guerre des Farines et causer une hausse des prix sans précédent. En effet, les mauvaises récoltes des étés 1773 et 1774 ont créé une énième pénurie dans certaines régions de France. Or, jusqu’ici, chaque région dépendait de sa seule production de grains, et si certaines pouvaient souffrir de pénurie, c’étaient à elles de s’en accommoder, sans conséquences pour les autres régions plus chanceuses. Mais avec la réforme de Turgot, les grains peuvent désormais sortir des régions favorisées pour alimenter les moins prospères. Conséquence directe : les prix flambent, non seulement dans les régions défavorisées qui expriment une forte demande pour ce grain salvateur, mais aussi dans les régions fertiles où le grain se fait plus rare pour les locaux, et donc plus cher. Au plus fort de la crise, l’inflation dépasse alors les 125 %.
La Révolution tente d’enrayer l’inflation par la force
Louis XVI renvoie Turgot et lui préfère Necker qui, quant à lui, va emprunter plusieurs centaines de millions de livres sans sourciller. La dette de l’État devient vite insoutenable et l’État n’a plus les moyens de se maintenir à flot. La voie est grande ouverte pour la Révolution Française qui hérite d’une dette colossale. Une situation envenimée par deux siècles d’insolvabilité chronique qui ont incité les différents gouvernements à créer des produits financiers de substitution (billets, rentes, titres, etc.) venus artificiellement grossir la valeur monétaire en circulation, sans commune mesure avec la vraie richesse constituée d’or et d’argent dont les caisses de l’État manquent cruellement. Les prix flambent, d’autant plus que les mauvaises conditions climatiques de 1783 à 1789 ont engendré une nouvelle pénurie de produits agricoles. La disette est partout, le pain est hors de prix. L’inflation s’installe et la Révolution naît sur la promesse de prendre aux riches pour donner aux pauvres.
D’ailleurs, pour de nombreux auteurs spécialistes de cette époque, la Terreur de 1793 à 1794 fut en réalité une tentative d’endiguer cette inflation en réquisitionnant les richesses accumulées par le clergé et la noblesse, dont les membres furent au passage décapités par tombereaux entiers pour n’avoir pas contribué volontairement à l’effort révolutionnaire (mais surtout pour éviter que certains cherchent plus tard à récupérer leurs biens spoliés). Sauf que cela ne fut pas suffisant pour faire baisser l’inflation, laquelle était avant tout structurelle avant d’être monétaire.
Le retour du papier-monnaie
C’est alors que l’on ressort l’idée du papier-monnaie, d’abord sous forme de titres d’emprunt puis rapidement en tant que billets permettant tous les achats du quotidien. Une monnaie fiduciaire, donc, censée résoudre la question des échanges marchands malgré l’absence de richesses tangibles pour en garantir la valeur. Très vite, les assemblées révolutionnaires multiplient les émissions au fur et à mesure des besoins, sans considération aucune pour les réalités économiques, ce qui entraîne une nouvelle inflation catastrophique, cette fois-ci bel et bien monétaire.
Finalement, les assignats sont abandonnés en 1797 et leur bilan économique est juste désastreux. Impuissant à combattre l’inflation par la violence et la dictature, le gouvernement révolutionnaire a en réalité aggravé la crise financière de laquelle il avait émergé.
Et pourtant, c’est bien cette solution de papier-monnaie qui sera remise au goût du jour une soixantaine d’années plus tard, lors du Second Empire, dans le but louable de faire définitivement entrer la France dans l’ère de la finance moderne en généralisant l’usage du billet de banque. Un billet qui n’était finalement rien d’autre qu’un assignat habilement déguisé et qui, on le verra dans le courant du XXe siècle, renforcera bien plus souvent qu’il ne le résoudra le problème de l’inflation.
L’inflation à travers l’histoire #1 : l’explosion des prix durant l’empire romain
L’inflation à travers l’histoire #3 : le Grand Siècle du surendettement
L’inflation à travers l’histoire #5 : quand le XXe siècle expérimente toutes les formes d’inflation