Malgré la multiplication des emprunts excessifs et le passage définitif d’une organisation féodale à une société plus capitaliste, le XVIIe siècle n’est pas vraiment connu pour être une période de crise économique ou financière. Pourtant, on sait aujourd’hui que les décennies qui séparèrent la Renaissance du Siècle des Lumières furent particulièrement chaotiques sur fond de surendettement chronique.
S’endetter pour paraître
Le XVIIe siècle signe un tournant important dans la manière dont les États vont s’endetter, et surtout dans leur motivation à emprunter plus que de raison. En effet, si jusqu’ici les emprunts avaient principalement financé les guerres, ils allaient désormais entretenir de manière un peu plus subtile la puissance géopolitique. Non plus seulement par les armes mais aussi et surtout par l’image, en montrant la force du pays à travers sa richesse et sa prospérité qui devaient absolument s’étaler aux yeux de tous.
Dès lors, un pays fort était un pays qui n’avait pas peur de dépenser pour le faste et l’opulence, car c’était le signe évident qu’il ne craignait plus qu’on vienne s’emparer de ses possessions ou lui disputer ses frontières. La guerre était toujours une activité courante, et on continuait à la mener ici ou là, mais elle ne devait plus mobiliser l’essentiel des ressources du pays. Mieux encore, chacun devait voir que l’État n’avait plus besoin de se priver pour entretenir son armée afin de se défendre. De proie éventuelle, il était devenu prédateur potentiel, celui qui pouvait choisir le moment et le lieu pour engager un combat. Et surtout celui qu’on allait éviter de provoquer sans être sûr de son coup.
À ce jeu, la France et l’Angleterre ont rivalisé de dépenses, non seulement pour affirmer leur supériorité mais aussi pour étendre leur influence aux quatre coins du globe. Au point d’ailleurs de constituer finalement deux empires qui régnèrent à eux seuls sur un tiers de la population mondiale.
De la richesse à l’insolvabilité
Pour en revenir aux premières années de cette escalade financière, la Renaissance avait été marquée par un afflux considérable de richesses en provenance du Nouveau Monde. Or et autres métaux précieux ont ainsi déferlé dans les caisses des principaux pays européens, faisant rapidement tourner la tête des dirigeants de l’époque qui ne voyaient plus de limites à leurs ambitions démesurées. En France, Louis XIV fut d’ailleurs l’héritier et le symbole même de cette exubérance dépensière. En effet, celui que l’on appela de son vivant le Roi Soleil ne se refusait aucune folie et sa frénésie architecturale, artistique, scientifique ou militaire dépassa de très loin celle, pourtant déjà impressionnante, des premiers monarques de l’époque moderne, au nombre desquels François Ier avait déjà marqué les esprits par sa propension à dépenser sans compter.
Sauf que l’or des Amériques a fini par se tarir et l’apparente richesse des pays comme la France ne tenait plus depuis longtemps que sur la profondeur des caisses du Trésor dans lesquelles on puisa sans discontinuer pendant deux siècles… jusqu’à en atteindre le fond. Dès lors, la modération et le retour à une certaine austérité étant totalement exclus, il fallut bien trouver une solution pour préserver le train de vie de l’État. L’emprunt devint rapidement une évidence, et les grandes familles ainsi que les notables furent mis à contribution. L’ennui, c’est que si l’État était devenu excellent pour dépenser et emprunter, il restait particulièrement mauvais pour rembourser.
Premières tentatives peu concluantes pour redresser les comptes du royaume
Grâce à l’action énergique d’Henri IV qui assainit grandement les finances de l’État, le pays retrouva pourtant peu à peu la confiance des prêteurs. Mais la Guerre de Trente ans (1618-1648) entraîna la France malgré elle dans un conflit religieux qu’elle avait pourtant définitivement soldé sur son propre territoire, obligeant Louis XIII à soutenir financièrement ses alliés jusqu’à de nouveau vider les caisses du Trésor. À la mort du roi en 1643, on découvrit d’ailleurs que les recettes de l’État prévues pour les trois prochaines années étaient déjà dépensées !
Il fallut alors toute la détermination du jeune Louis XIV (qui n’était donc pas qu’un simple dandy royal) pour redresser la barre avec l’aide de Colbert et contenir la dette sans jamais toutefois parvenir à la résorber complètement. Il faut dire que la période était compliquée sur le plan géostratégique : aucun moment dans l’histoire écrite de l’Europe (et peut-être même du monde) ne connut autant de guerres simultanées que le XVIIe siècle. Pas moins de 45 conflits virent en effet de nombreux pays européens s’affronter, parfois sur plusieurs fronts en mêmes temps, et qu’il s’agisse des dépenses militaires directes ou des aides accordées aux alliés, la plupart des États dont la France furent en permanence au bord de la banqueroute.
D’ailleurs, tous les budgets annuels de l’État entre le début du règne de Louis XIV et la Révolution Française allaient dès lors être systématiquement déficitaires.
Et l’inflation dans tout cela ?
Toute cette richesse apparente, même si elle n’était que le fruit d’un endettement massif, a néanmoins contribué à l’amélioration des conditions de vie. La France connut donc une certaine croissance entre 1600 et 1669. La population elle-même augmenta de 10 %, ce qui est considérable pour l’époque, principalement dans les villes où la demande se fit rapidement plus forte que l’offre.
Conséquence directe, les prix augmentèrent d’abord régulièrement, puis de plus en plus vite à mesure que la pression démographique augmentait.
Dans le même temps, le conflit religieux entre Catholiques et Protestants, mais aussi le petit âge glaciaire qui se manifeste dès 1600 (on dit à la cour du Roi Soleil que le vin servi à table gèle dans les verres), créé des conditions défavorables aux activités agricoles. Là encore, les prix s’en ressentent et l’ État n’a malheureusement plus les moyens de compenser les crises qui se succèdent de plus en plus rapidement, d’abord en 1661, puis en 1676, 1680, 1693, 1694…
Entre 1688 et 1692, la mesure de blé passe ainsi de 3,15 à 7,85 livres, soit une augmentation de 150 %. L’avoine croît plus modestement de 67 % tandis que la méture, ce pain campagnard du Sud-Ouest à base de farine de maïs, voit son prix multiplié par 3 !
Finalement, à la veille du XVIIIe siècle, la situation du royaume de France assez particulière, car si les caisses sont vides et les créanciers mécontents, le pays semble quant à lui plutôt prospère. Comme l’écrit François Crouzet dans son ouvrage intitulé La Grande Inflation, la France d’alors a une excellente monnaie mais de très mauvaises finances. Le Siècle des Lumières ne fera que confirmer ce triste constat…
L’inflation à travers l’histoire #1 : l’explosion des prix durant l’empire romain
L’inflation à travers l’histoire#4 : le Siècle des Lumières invente le papier-monnaie inflationniste
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