Depuis sa découverte il y a 7000 ans, sous forme de pépites ou de paillette, le métal jaune n’a cessé de fasciner l’Homme. Pourquoi ? Ses qualités intrinsèques, réelles ou imaginaires, ne manquent pas. S’il ne fallait en retenir que deux, ce serait sans aucun doute son caractère éblouissant et son inaltérabilité1, dont la combinaison fait de l’or un symbole d’immortalité.
Voilà pourquoi, dès le IIe siècle avant Jésus-Christ, les alchimistes tentent de reproduire le travail de la nature. C’est le « grand œuvre » : la création de l’or.
Ce qu’il faut retenir :
- Longtemps victime de la rumeur, l’histoire de l’alchimie est aujourd’hui bien connue ;
- Par certains aspects, grâce aux avancées scientifiques, la chimère de l’alchimie a pris corps.
Dans quel contexte l’alchimie est-elle apparue ?
Née à une époque où l’or était d’autant plus désirable qu’il était encore très rare, l’alchimie a vu l’Homme recourir à toutes sortes de sortilèges. L’objectif était de fabriquer un métal auquel on prêtait des pouvoirs surnaturels.
Dans son incontournable Histoire de l’or (Fayard, 1974), le juriste, journaliste et historien économique René Sédillot (1906-1999) définit l’alchimie « comme une manifestation du fétichisme de l’or, mais d’un fétichisme qui se pare des fausses suffisances d’une science balbutiante. »

Définition et étymologie : que veut dire « alchimie » et « alchimiste » ?
L’origine étymologique du terme est elle-même discutée. Alchimie pourrait découler du « latin médiéval alchemia [qui] vient de l’arabe alkymia, qui procède du grec khemia (magie noire), lui-même emprunté à l’égyptien kem (noir) », explique Sédillot. L’historien rappelle que l’hypothèse grecque ne peut cependant pas être exclue. Dans cette langue, chyma signifie fondre ou mouler le métal. D’autres évoquent encore une racine hébraïque. Bref, l’origine du terme est encore plus obscure que les pratiques qu’il recouvre.
Comment l’alchimie s’est-elle répandue dans le monde ?
Ce qui est sûr, c’est que l’alchimie est née en Chine. Elle a ensuite transité par l’Inde, avant d’arriver en Méditerranée par l’Égypte, les pays arabes, puis l’Occident.
Transmutation : changer la boue et le mercure en or, une obsession ancienne…
Sédillot cite cette recette du mage Li-chao-kiun, qui date de 140 avant J.-C. : « Sacrifiez au fourneau et vous pourrez créer des êtres ; alors la poudre de cinabre pourra être transformée en or jaune ; quand l’or jaune aura été produit, vous pourrez en faire des ustensiles pour boire et pour manger. Alors votre longévité sera prolongée… Vous ferez les sacrifices long et chan, et vous ne mourrez pas. »
C’est l’époque où les forgerons, maîtres du feu, passent pour des magiciens. Les empereurs leur commandent déjà des élixirs de vie… sans jamais pour autant atteindre l’immortalité.
En Inde, l’alchimie prétend réussir la transmutation en or, soit par des moyens chimiques, soit par la puissance du yoga.
En Grèce, avec 24 siècles d’avance sur la physique nucléaire, Démocrite et Aristote élaborent toutes sortent de théories de la matière. Leur conclusion est définitive : par un moyen ou par un autre, l’Homme parviendra à fabriquer de l’or.
L’ambiance est fort différente à Rome : Dioclétien aurait fait brûler tous les livres portant sur ces chimères.
Viennent ensuite les Arabes : « recueillant les héritages de la Chine, de l’Inde, d’Aristote et d’Alexandrie, ils marient la pharmacie, la mystique et l’astrologie avec assez de talent pour donner l’illusion d’une science nouvelle », résume Sédillot.
Qu’à cela ne tienne : de leurs voyage en Orient, les Occidentaux reviendront convaincus qu’il est possible de fabriquer de l’or, et de concocter des potions miraculeuse à base de poudre d’or.
Comment l’alchimie s’est-elle développée en Occident ?
Transplantée en Occident durant le Moyen Âge tardif, l’alchimie change de dimension. Aux chercheurs de bonne foi viennent s’ajouter les charlatans. Tous partagent le même objectif : découvrir la pierre philosophale…
Qui sont les alchimistes occidentaux ?
Voici le portrait qu’en brosse Sédillot : « Ils tiennent du philosophe, à la mode aristotélicienne, du marmiton, soucieux de combinaisons inédites, et du sorcier, plus ou moins prêt à invoquer les astres, les dieux ou les démons. Ils ont un langage hermétique, dont on dira qu’il est destiné à préserver leurs secrets, mais qui cache en réalité une profonde indigence de moyens et vise surtout à abuser les naïfs. Ils recourent à des mots clés, à leur usage propre, à des formules magiques, à l’usage des initiés. […] Dans les faits, l’alchimie médiévale n’est guère qu’un étalage de sottises, et si elle peut accidentellement être l’instrument du progrès, elle ne le fait pas exprès. »
Quel est le but de l’alchimie ?
C’est la découverte de la pierre philosophale. Son identité n’est pas très claire. Pour certains, elle serait un caillou, pour d’autres une poudre, et pour d’autres encore une teinture.

Quoi qu’il en soit, « les alchimistes attribuaient à la pierre philosophale trois propriétés essentielles : changer les métaux vils en argent ou en or ; guérir les maladies ; et prolonger la vie humaine au-delà de ses bornes naturelles », explique le vulgarisateur scientifique Louis Figuier.
Quelle est l’idée principale de l’alchimie ?
Pour fabriquer cet agent de transmutation des métaux vil en métaux nobles, les alchimistes disposent d’instruments pour mettre en œuvre certaines substances selon des formules alambiquées.
En voici quelques exemples.
Instruments, substances, formules et symboles pour « transformer le plomb en or »

Ainsi, « On purge, on sublime, on dissout, on distille, on calcine, on pétrifie. Par “voie humide” ou par “voie sèche”, on engendre des produits intermédiaires, qui s’appellent saturne des sages, huile de talc, élixir parfait au blanc, poudre de projection, soleil terrestre, corps glorieux, christ métallique… L’or est au bout du grand œuvre », raconte Sédillot.
Mon propos se cantonnera à l’or source de richesse matérielle, et laissera de côté les chrysothérapies, pour lesquelles l’or « potable », médecine universelle, serait source de santé, de jouvence, voire d’immortalité.
Qui sont les alchimistes les plus célèbres ?
On cite souvent les cas de Raymond Lulle, Nicolas Flamel et Paracelse.
Or on sait aujourd’hui que deux de ces trois célèbres alchimistes… n’ont jamais pratiqué l’alchimie !
Alchimie de l’or : de Raymond Lulle à Paracelse, en passant par Nicolas Flamel
Le Majorquin Raymond Lulle (1232-1315) était un philosophe, poète, théologien, missionnaire, apologète chrétien et romancier. Ses écrits ne laissent aucun doute : il méprisait l’alchimie. Cependant, un vaste corpus de textes alchimiques (dont le fameux Testament de l’art chimique universel, qui rassemblait un grand nombre de connaissances relatives à l’anoblissement des métaux) a été écrit sous son nom à partir de 1370. De multiples pseudo-Lulle ont cherché à donner du crédit à la pseudo-science qu’était l’alchimie.

Tout aussi éloigné dans le temps, mais plus proche de nous géographiquement, se trouve le Parisien Nicolas Flamel (1330/40 – 1418), dont la légende a fait l’alchimiste français par excellence. Cet écrivain public, copiste et libraire-juré serait devenu prodigieusement riche en parvenant, le 25 avril 1382, à après 24 ans de recherches, à transmuter en or une demi-livre de mercure. Or des recherches encore récentes ont établi que Flamel n’avait jamais pratiqué l’alchimie, et l’on sait depuis longtemps que sa fortune n’avait rien de mystérieux. Mais la rumeur de l’époque a préféré attribuer à celle-ci une origine surnaturelle. Il est en allé de même pour d’autres, comme Jacques Cœur (c. 1400-1456), Nicolas le Valois (c. 1495-c.1542) ou encore Sigmund Wann.

Le suisse Paracelse (1493-1541) est la seule de ces trois célébrités à avoir pratiqué l’alchimie. Le verdict de Sédillot au sujet de ce médecin, philosophe et théologien laïc est sans appel : « en dépit de sa gloire, [il] ne vaut pas mieux : il se targue de commercer avec les diables, et d’avoir reçu de Dieu le secret du métal. »

de Paracelse.
La liste étant fort longue, je l’arrêterai ici.
Hommes de science ou de charlatanerie, les alchimistes ont fait des dupes en grand nombre, y compris parmi les puissants.
Les alchimistes, les rois et les papes
Rendus crédules par leur soif d’or, à maintes reprises les souverains ont fait appel aux alchimistes pour renflouer leurs finances, toujours avec le même résultat. Pour la France, on peut citer Charles IX (1550-1574) et Marie de Médicis (1575-1642).
Certains ont même appelé tous leurs sujets à se mettre en quête de la recette salvatrice, comme Henri VI d’Angleterre (1421-1471) !
Pour ce qui est des papes, Sédillot raconte cette anecdote truculente : « Plus réservé, le pape Léon X, à qui [l’alchimiste italien] Augurel remet sa Chrysopée ou l’Art de faire de l’or en vers latins, l’en remercie en lui remettant une bourse vide et en lui disant : “Il vous sera facile de la remplir !” »
Trois siècles plus tard encore, Auguste II de Saxe (1670-1733) enferme dans une forteresse l’alchimiste allemand Böttger, en lui ordonnant de fabriquer de l’or…

Quand la science prend le relai de l’alchimie
La fin du XVIIIe siècle signe l’avènement de la chimie moderne. Avec lui, l’alchimie perd tout crédit scientifique, et connait en tant que discipline un recul considérable.
Ceci dit, la science a pris le relai de l’alchimie.
Deux avancées scientifiques récentes en matière de production artificielle d’or s’inscrivent dans la lignée des alchimistes :
- Comme je l’écrivais dans mon livre en 2013 : « L’équipe dirigée par le professeur A. J. Shaka de l’Université Irvine de Californie est parvenue en 2011 à reproduire en conditions de laboratoire ce qui se passe à l’échelle de l’explosion d’une étoile (supernova). En bombardant pendant 23 heures des isotopes de mercure dans un réacteur nucléaire pour en déloger un neutron, on parvient à obtenir de l’or pur. Ce processus nécessite cependant une décharge électrique phénoménale que seule l’énergie nucléaire permet de produire. L’opération est aujourd’hui loin d’être rentable sur le plan financier. » L’Homme sait donc créer de l’or ex-nihilo, à ceci près que le coût de telles expériences interdit de les renouveler.
- Il faut également évoquer les avancées de l’alchimie microbienne, laquelle permet non pas de créer de l’or ex-nihilo, mais à partir de chlorure d’or ou d’ions toxiques d’or (il n’y a donc pas création d’or supplémentaire). Là encore, le coût de revient est prohibitif.
À cet égard, on peut se poser la question suivante : faut-il vraiment qualifier l’alchimie de « chimère » ?
Quel est le bilan de l’alchimie ?
Quel élément peut se transformer en or ?
Toutes les tentatives visant à transmuter des métaux vils en métal précieux ont échoué, et l’or n’est certainement pas une médecine universelle.
Ceci dit, comme l’écrit Sédillot, « Le fait est qu’au XXe siècle les alchimistes, sans le vouloir, ont fini par avoir raison. L’unité de la matière semble bien réelle, comme le présumait Aristote. La matière est bien faite d’une concentration de particules instables, comme le croyait Démocrite. Les transmutations sont possibles, comme le disait [de manière apocryphe] Nicolas Flamel. La synthèse de l’or est réalisable, comme le croyait Paracelse. Les superstitions médiévales sont devenues des vérités scientifiques, la chimère a pris corps, les alchimistes sont promus au rang de “précurseurs géniaux des magiciens modernes de l’atome”. […]
De la grande aventure alchimique, il reste un halo de rêves et de fables. Elle confirme que l’or est désirable et désiré, et que, pour l’obtenir, l’homme est prêt à toutes les audaces, à toutes les absurdités – et jusqu’à vendre son âme au diable. »
1 Comme l’écrit René Sédillot : « Aucun acide n’agit sur l’or. Il faut un mélange d’acide chlorhydrique et d’acide azotique pour le dissoudre : les vertus de ce mélange ont paru si royales que les alchimistes l’ont dénommé “eau régale”. » L’eau régale, ou eau royale, dissout d’autres métaux nobles, comme le platine et le tantale.
2 Autant de supercherie ayant inspiré Molière pour son Malade imaginaire (1673).
3 « Böttger fait mieux, raconte Sédillot : il invente la porcelaine blanche ».