On l’a vu avec les précédents articles de cette série, la ruée vers l’or a non seulement façonné les sociétés et les économies mais a aussi laissé une empreinte indélébile dans la culture populaire, principalement depuis le milieu du XIXe siècle. Aujourd’hui, on va s’intéresser à la bande dessinée, car, oui, elle aussi a pu servir de support à des récits, réels ou imaginaires, relatant les épopées de fortune et de désespoir des chercheurs d’or.
De la frénésie de l’or californien du XIXe siècle aux péripéties glacées du Klondike, les aventures riches en action et en émotion ont en effet trouvé un écho vibrant dans les pages colorées des comics et des romans graphiques, depuis les premiers strips dans les journaux de l’époque jusqu’aux aux romans graphiques contemporains destinés à un public adulte, en passant par la BD plus classique et grand public.
Les premiers comic strips
L’aube de la bande dessinée coïncide avec l’essor des journaux de masse dans le courant du XIXe siècle, période marquée par des événements historiques majeurs au nombre desquels on trouve les grandes ruées vers l’or. Ces premiers « comic strips », souvent exagérés et parfois humoristiques que l’on retrouvait fréquemment en dernière page des journaux, se sont emparés de ce thème riche en aventures et en drames humains pour captiver un public avide de divertissement et d’évasion.
Généralement, ils ne suivaient pas les aventures d’un personnage central en particulier, mais caricaturaient des comportements ou illustraient un événement spécifique. En ce sens, ils n’étaient pas très éloignés du dessin de presse tel qu’on le conçoit aujourd’hui.
Ces premiers strips ont surtout établi la bande dessinée comme un médium populaire, et dans le cas des ruées vers l’or, ont permis de présenter au plus grand nombre des événements souvent dramatiques de manière ludique et attractive, quitte à les simplifier voire à les rendre drôles. Cette approche a non seulement diverti mais a également servi à éduquer le grand public sur les enjeux de cette période clé, contribuant à façonner l’imaginaire collectif autour de ces événements.
Incidemment, les bandes dessinées ont aidé à populariser une vision romantique et souvent simplifiée de la Ruée vers l’or — à l’instar des premiers romans « de poche » qui ne portaient pas encore ce nom-là —, influençant la perception des générations futures sur ce chapitre de l’histoire.
La toute première bande dessinée
Difficile de retrouver la première bande dessinée publiée indépendamment comme telle, car il existait de nombreux petits fascicules plus ou moins confidentiels qui circulaient de manière officieuse dès le début du XIXe siècle en proposant toutes sortes d’histoires (généralement impertinente et iconoclastes) dont les dessins s’adressaient en grande partie à tous ceux qui ne maîtrisaient pas la lecture.
Toutefois, on considère que Voyage dans les mines d’or – 1849 est réellement l’une des premières bandes dessinées diffusées à large échelle et qui montre comment les ruées vers l’or ont été intégrées dans la culture populaire de l’époque.
Créée par les frères James et Alexander Read, cette bande dessinée américaine raconte l’histoire comique d’un dandy urbain qui se rend en Californie dans l’espoir de faire fortune dans les mines d’or. Malheureusement, il échoue et retourne chez lui plus pauvre qu’il n’était parti.
Les BD classiques pour la jeunesse
Les années 1940 marquent un tournant pour la bande dessinée, qui se démocratise et devient un support de divertissement majeur, notamment pour les jeunes. En pleine expansion, les thèmes abordés sont variés, allant de la guerre à la science-fiction. Cependant, le Far West occupe une place privilégiée, avec de nombreuses séries mettant en scène les aventures des cow-boys et des chercheurs d’or. Ces récits, souvent empreints de bravoure et de découverte, captivent l’imagination des jeunes lecteurs.
Ainsi, des séries telles que Red Ryder, Hopalong Cassidy, et The Lone Ranger exploitent le cadre du Far West pour offrir des histoires palpitantes où la ruée vers l’or est souvent un élément central. Ces séries ont contribué à populariser les histoires de chercheurs d’or et de villes minières, illustrant les dangers et les espoirs associés à cette période historique.
Lucky Luke
Plus près de notre culture francophone, on trouve également les aventures de Lucky Luke, l’une des séries les plus lues dans le monde avec plus de 300 millions d’albums vendus, créée par Morris en 1946.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette bande dessinée (est-ce possible ?), la série suit les aventures d’un cow-boy solitaire dans l’Ouest américain et plusieurs albums abordent des thèmes proches de la ruée vers l’or, avec des histoires autour de chercheurs d’or et de villes minières. Les plus emblématiques sont :
- La Ruée vers l’or de Buffalo Creek (1949) : Cette histoire, publiée dans le Journal de Spirou 100 ans après la Ruée vers l’or de Californie, est le sixième épisode de la série dessinée par Morris. Elle raconte une farce qui prend des proportions démesurées, illustrant le phénomène de la folie de l’or.
- La mine d’or de Dick Digger (1949) : C’est le premier album officiel de Lucky Luke et déjà on parle de chercheur d’or ! Le dessin est encore un peu approximatif mais on y parle de vol, de trahison, de filon et de rêve brisé dans un style très “cartoon”.
Les aventures de Picsou
Autre série de BD incontournable, les aventures de Picsou en tant que chercheur d’or telles que racontées à travers les œuvres de Carl Barks. Ces histoires, parues principalement entre les années 1940 et 1960, passionnent les jeunes (et les moins jeunes) par leur sens de l’aventure et leurs leçons morales.
Mais c’est surtout la série intitulée La Jeunesse de Picsou produite par Don Rosa au début des années 1990 qui va marquer l’imaginaire de toute une génération pour laquelle la ruée vers l’or n’était plus qu’un événement historique quasiment oublié.
Cette série, qui retrace les aventures de Picsou de 1877 à 1947, plonge profondément dans l’histoire des ruées vers l’or, notamment celle du Klondike, montrant comment Picsou a amassé sa fortune. Don Rosa, qui reçut un prix pour cette série en 1995, a expliqué avoir énormément travaillé sur des documents d’archives pour intégrer un maximum d’éléments historiques authentiques dans ses histoires, afin de rendre les récits à la fois éducatifs et divertissants.
Tex le ranger
Créée en 1948 par Gian Luigi Bonelli et Aurelio Galleppini, cette série italienne suit les aventures du ranger Tex Willer, un cow-boy plutôt caricatural, proche des personnages de cinéma incarnés par John Wayne notamment. BD la plus vendue en Italie avec plus de 700 histoires à ce jour, Tex plonge régulièrement dans le contexte historique des ruées vers l’or. Faire la liste des titres concernés serait rébarbatif, d’autant que certains n’ont pas forcément été traduits en français et que d’autres ont été publiés en deux ou trois fois, répartis sur plusieurs numéros de magazines ou d’albums collectifs.
Néanmoins, on peut évoquer l’épisode intitulé La vallée de la terreur où un ancien propriétaire foncier ruiné par la ruée vers l’or qui l’a dépossédé de ses terres assassine des mineurs pour se venger.
Cette histoire présente ainsi la Ruée vers l’or comme une calamité et non plus comme le prétexte d’une aventure.
D’ailleurs, d’une manière générale, cette série, bien que destinée à un jeune public, préfigure une bande dessinée plus mature, plus adulte et plus réaliste malgré l’humour qui reste présent. En effet, les aventures de Tex abordent des thèmes complexes comme la justice, la moralité et les conflits entre cultures, tout en conservant une dimension d’aventure épique, mais en montrant que rien n’est vraiment simple, à l’exemple de la ruée vers l’or qui a pu souvent entraîner des conséquences dramatiques même pour ceux qui n’y participèrent pas.
Les romans graphiques modernes – transition vers un public adulte
Avec l’évolution de la bande dessinée, des œuvres plus matures ont donc émergé, à destination d’un public plus adulte et adoptant pour cela des styles de dessin réalistes au service de récits souvent plus sombres et plus complexes. Ces véritables romans graphiques (c’est d’ailleurs ainsi qu’on les qualifie désormais) revisitent les thèmes des ruées vers l’or en explorant davantage les dimensions psychologiques et sociales de ces périodes tumultueuses. En voici quelques exemples caractéristiques.
Blueberry
La série Blueberry, créée par Jean-Michel Charlier et Jean Giraud (Moebius) et considérée comme une œuvre majeure de la bande dessinée, illustre parfaitement cette transition vers des récits plus adultes. Deux tomes en particulier plongent dans les conséquences sombres et tragiques de la ruée vers l’or.
- La Mine de l’Allemand perdu (1972) : Blueberry devient le shérif d’une ville de prospecteurs et se lance dans la quête d’une mine d’or perdue au milieu des territoires apaches. Ce récit, premier volet du cycle de l’Or de la Sierra, explore la cupidité et le désespoir des chercheurs d’or.
- Le Spectre aux balles d’or (1972) : Continuation de l’intrigue, ce diptyque montre comment la fièvre de l’or peut rendre les hommes fous, transformant la quête de richesse en une série de conflits violents et de trahisons. Le dessin de Giraud est particulièrement sombre et réaliste, renforçant l’atmosphère oppressante de l’histoire.
La Fortune des Winczlav
La Fortune des Winczlav est une série de BD écrite par Jean Van Hamme qui explore les origines de la famille de Largo Winch, le célèbre personnage de fiction dont on tira même deux films et une série télévisée à succès.
Le premier tome de la BD, publié en 2021, met en scène Vanko Winczlav, un Serbe du Monténégro, qui part chercher fortune en Amérique durant la ruée vers l’or de 1849.
Le récit, historiquement réaliste, illustre les défis et les péripéties d’un immigrant tentant de survivre et de prospérer dans un nouvel environnement impitoyable. Avec, là encore, la mise en avant des conséquences de la ruée vers l’or sur les individus et les familles.
Le Klondike de Zach Worton
Publié en 2012, cette bande dessinée colossale (plus de 300 pages) est un roman graphique se présentant plutôt comme un documentaire historique qui explore en détail la ruée vers l’or du Klondike, dépeignant les événements et les figures historiques de cette époque avec une rigueur factuelle.
Malgré un style que certains pourraient trouver enfantin, Zack Worton traite le sujet avec sérieux. Il combine des récits narratifs avec des illustrations détaillées, offrant une représentation immersive de la vie et des défis auxquels étaient confrontés les chercheurs d’or.
Ce roman graphique se distingue par sa précision historique et son approche documentaire, rendant hommage à cette période fascinante de l’histoire tout en évoquant des figures marquantes de l’époque. On redécouvre ainsi « Soapy Smith », escroc charismatique, qui a manipulé les chercheurs d’or avec une habileté redoutable, Georges Carmack et Robert Henderson, prospecteurs ingénieux et audacieux qui ont joué un rôle crucial dans la ruée vers l’or en découvrant des gisements prometteurs, sans oublier Belinda Mulrooney, l’une des rares femmes à s’imposer et à faire fortune pendant une ruée vers l’or.
Finalement, un peu comme avec le cinéma, les ruées vers l’or ont profondément marqué la bande dessinée en servant de toile de fond à une variété de récits à travers les décennies. Des premiers dessins humoristiques aux romans, les bandes dessinées ont utilisé les ruées vers l’or pour explorer des thèmes de bravoure, de cupidité, d’aventure et de désespoir, enrichissant le genre avec des histoires riches en émotion et en action.
Aujourd’hui, la bande dessinée contemporaine se veut plus adulte, moins divertissante, à l’image de notre époque, et elle explore davantage les aspects sombres de cette thématique, comme pour rappeler certaines leçons intemporelles sur l’ambition, la survie et les conséquences de la quête de richesse.