Augmentation de la masse monétaire, baisse des taux directeurs, rachats d’actifs financiers… Depuis la crise financière de 2008 déjà, la Banque centrale européenne use aussi bien d’une politique monétaire conventionnelle que de moyens plus extrêmes pour relancer la croissance. Avec plus ou moins de succès.
Pourtant, un ultime recours reste en réserve : l’émission de monnaie hélicoptère.
Qu’est-ce que la monnaie hélicoptère ? D’où vient le concept de monnaie hélicoptère et comment peut-on l’appliquer ? Quels sont les risques de la monnaie hélicoptère ? Focus sur la botte secrète des banques centrales.
Qu’est-ce que la monnaie hélicoptère ?
Définition
Par définition, le terme de monnaie hélicoptère (ou helicopter money en anglais) désigne de l’argent distribué directement aux ménages et entreprises par la banque centrale.
Ici, on parle bien de don sans aucune contrepartie financière attendue, et non de prêt. Une particularité majeure de la monnaie hélicoptère est que les capitaux ne passent à aucun moment par les banques commerciales.
Les banques commerciales ont normalement le rôle de transmettre la création monétaire des banques centrales aux créanciers (ménages, entreprises) via des crédits à divers taux d’intérêt.
Origine
Le terme « hélicoptère » fait référence à l’image publiée par Milton Friedman en 1969. Dans son article « The optimum quantity of money », l’économiste américain évoque l’idée que de l’argent liquide soit jeté du haut d’un hélicoptère dans les rues.
Friedman ajoute que le caractère improbable d’un tel événement lui donnerait justement un caractère unique, ponctuel aux yeux de la population. C’est ce dernier paramètre qui susciterait, selon lui, une puissante euphorie chez les ménages grâce à laquelle la consommation serait relancée.
Dès lors, la monnaie hélicoptère a pour objectif de constituer un dernier rempart contre la déflation, ou contre une inflation trop faible (comme ce fut longtemps le cas dans l’Union européenne, jusqu’à la crise sanitaire).
Bon à savoir : Malgré sa popularisation par Milton Friedman, c’est bien à Clifford Hugh Douglas que l’on doit attribuer la naissance du terme de monnaie hélicoptère. L’homme est également connu en tant que pionnier du mouvement du crédit social.
Concept
Aujourd’hui encore, le concept de monnaie hélicoptère demeure purement théorique. Bien que jugée « très intéressante » par Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne (BCE), la mesure représente plutôt un dernier rempart quand toutes les autres décisions de politique monétaire ont échoué.
Concrètement, les mesures traditionnelles de la BCE visent d’abord à baisser les taux d’intérêt afin d’encourager les ménages à la consommation, et les entreprises à l’investissement.
L’affaiblissement des taux directeurs (taux de crédit proposés par les banques centrales aux banques commerciales) est une mesure qui vise à stimuler et relancer la consommation et, par extension, l’inflation.
Lorsque cette initiative semble insuffisante, la BCE peut procéder à l’achat d’actifs financiers afin de soutenir les banques commerciales. On parle alors d’assouplissement quantitatif (quantitative easing).
Enfin, on a pu constater dans l’histoire de nombreuses injections de capitaux dans l’optique de renflouer les banques commerciales face aux crises économiques.
C’est dans le scénario où aucun de ces efforts ne suffirait à endiguer la déflation (soit à relancer la consommation) qu’intervient la monnaie hélicoptère.
Celle-ci diffère de la politique de la « planche à billets » en cela que la banque centrale ne passe ni par l’achat d’obligations ni par des créances sur le compte du Trésor. Dès lors, l’impact (et les conséquences) d’un hélicoptère monétaire sont bien plus directs.
Monnaie hélicoptère : quels enjeux ?
Enjeux pour les banques centrales
Malgré l’impact de la crise sanitaire sur l’économie européenne que l’on constate depuis 2020, l’inflation de la zone euro tend à stagner depuis 2015, et ce, malgré des mesures de politique monétaire non conventionnelles.
Pour cette raison, de nombreux économistes, jusqu’au président de la BCE, semblent se prononcer en faveur de la monnaie hélicoptère si l’on devait faire face à une menace déflationniste forte. En effet, un tel risque ne peut être pris à la légère, et pour cause : de l’autre côté du globe, le Japon ressent aujourd’hui encore l’impact déflationniste de la décennie perdue.
D’après l’étude publiée le 16 juin 2021 par le Conseil d’analyse économique, une redistribution de 2% du PIB de la zone euro engendrerait pas moins de 1% d’inflation supplémentaire ; de quoi contrecarrer efficacement le risque de déflation.
Néanmoins, donner de l’argent « à l’aveugle » peut poser divers problèmes à la BCE :
- La difficulté à justifier cette opération sur le bilan de la BCE. En effet, une telle mesure serait exceptionnelle et difficilement justifiable en termes comptables.
- La difficulté à répartir cet argent dans la population européenne. En effet, il n’est pas possible de verser le même montant indistinctement sur chaque compte, puisque plusieurs comptes peuvent avoir le même titulaire. De plus, faut-il opter pour l’égalité (même montant pour chaque citoyen européen) ou pour l’équité ? Et dans ce dernier cas, comment définir et atteindre une équité satisfaisante ?
- Le risque de remise en cause judiciaire par des États en désaccord avec cette pratique. En effet, c’est généralement aux gouvernements qu’il revient de faire parvenir les capitaux aux ménages et entreprises, par exemple sous la forme d’allocations.
Une mise en place pratique de la monnaie hélicoptère pose donc de nombreuses interrogations. Mais il est également nécessaire de s’assurer que l’argent distribué relance bel et bien l’économie…
Enjeux pour les ménages
Quid de l’efficacité d’une telle mesure ?
Là encore, plusieurs questions se posent :
- Les ménages décideront-ils de consommer ou d’épargner l’argent offert ? Si dans le premier cas, une relance économique est possible, un réflexe d’épargne annulerait l’effort de la BCE.
- Les ménages consommeront-ils des biens et services locaux ou des produits importés ? Dans le second cas, l’impact sur les prix serait limité et ne suffirait probablement pas à générer de l’inflation.
- Les conséquences économiques seront-elles durables ? Si l’impact psychologique d’une telle mesure n’est pas assez fort, la BCE devra alors procéder à une seconde phase d’actions potentiellement coûteuse.
Enfin, on note que les gains potentiellement générés par la monnaie hélicoptère reviendraient probablement en priorité aux pays les plus compétitifs, au détriment des pays moins avancés. Le manque d’équité se ferait alors ressentir.
Malgré tous les questionnements d’ordre pratique qui gravitent autour de ce concept encore théorique, la monnaie hélicoptère pourrait bien être une solution toute trouvée en cas de force majeure et en réaction à l’incapacité de la BCE à entretenir un taux d’inflation stable.
Face aux aléas économiques de la monnaie fiduciaire, on constate aujourd’hui plus que jamais que les ménages se tournent vers l’épargne. Mais là encore, l’affaiblissement des taux d’intérêts par les banques centrales réduit les rendements. La solution ? Investir dans une valeur refuge.