Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le contexte économique désastreux est propice à l’émergence d’une inflation qui échappera bien vite au pouvoir allemand en place. Quels sont les éléments qui ont mis le feu aux poudres ? Quelles solutions ont été trouvées pour contrecarrer l’hyperinflation allemande ? Quels enseignements tirer de cette crise historique ?
Un contexte économique allemand propice à l’inflation
Le lendemain de la Première Guerre mondiale
La situation germanique au lendemain de la Première Guerre mondiale est terrible. Entre les millions de morts à déplorer, les pertes économiques et matérielles, et le traité de Versailles qui fait de l’Allemagne le grand perdant (et responsable) de la guerre, tous les indicateurs sont au rouge.
Qualifié de « diktat » par le peuple allemand, le traité impose plusieurs règles vécues comme des injustices par les Allemands :
- la réduction du territoire (rétablissement de l’Alsace-Lorraine à la France, réattribution d’une autre partie du territoire à la Pologne, confiscation de l’empire colonial) ;
- l’obligation de prendre en charge financièrement les réparations des dégâts causés par les affrontements.
Au cœur d’une période que l’Histoire appellera pourtant les « Roaring twenties » (les années 20 rugissantes), l’Allemagne est au plus mal économiquement et se souviendra de 1923, année où l’épisode d’hyperinflation a connu son apogée, comme l’année des crises (« das Krisenjahr »). Cette crise économique se prolongera jusqu’en 1924.
Les causes de l’hyperinflation
Malgré ce contexte catastrophique, c’est bien une seule décision politique qui a mis le feu aux poudres : celle de « faire marcher la planche à billets ». Pour faire face à toutes les problématiques citées précédemment, le gouvernement en place décide d’augmenter considérablement la masse monétaire, et ce, de façon complètement décorrélée de la production de valeur (biens et services) réelle du pays.
Les impôts, rejetés par la population, ne suffisent pas à couvrir les réparations. Dépenses sociales et services publics sont tous deux financés par l’émission monétaire : l’Allemagne connaît alors une inflation galopante.
En 1922 (comme le souligne la théorie classique de l’inflation), les investisseurs vont bien vite se rendre compte de l’écart entre la profusion de marks allemands et la richesse réelle du pays. En conséquence, ces derniers s’empressent de revendre leur monnaie contre une devise plus stable, augmentant encore la masse monétaire sur le territoire germanique.
À ce stade-là, l’inflation se transforme en hyperinflation et vient sanctionner la devise, qui verra sa valeur fondre comme neige au soleil.
D’autres événements comme l’occupation du bassin minier de la Ruhr par la France en 1923 (comme sanction infligée à l’Allemagne pour refus de financer les réparations) vont pousser les ouvriers et le patronat à faire grève en signe de protestation. Le gouvernement allemand redoublera alors d’émissions monétaires pour soutenir ce mouvement, creusant encore davantage le gouffre entre masse monétaire et richesse réelle.
Les conséquences de l’hyperinflation allemande
Conséquences monétaires et économiques
Déjà pendant toute la Première Guerre mondiale, l’Allemagne subit (au même titre que beaucoup d’autres États impliqués) une inflation difficilement gérable : 100 marks en 1913 en valaient 218 en 1918, puis 1 561 en 1920, au lendemain de la guerre.
Mais à partir de 1921, les choses dérapent et l’inflation annuelle est alors estimée à :
- 60% en 1921 ;
- 5 200% en 1922 ;
- 16 580 000% en 1923.
Pour donner un ordre de grandeur, un bien vendu à un mark en 1922 était vendu à 165 800 marks l’année suivante ! Au 20 novembre 1923, un dollar valait 4 200 milliards de marks allemands…
Au point où en est l’économie germanique, le mark revêt une valeur bien inférieure à celle du papier : cela explique pourquoi les ménages préfèrent brûler leur argent dans l’âtre de la cheminée, plutôt que du bois ou du papier. Le mark sert davantage à tapisser les murs et les fauteuils qu’à acheter des biens.
La monnaie allemande s’effondre si vite que les ménages cherchent à s’en débarrasser au plus vite avant que celle-ci ne perde encore davantage de valeur. On parle alors de « hot money » (monnaie chaude) dans le sens où celle-ci brûle les mains de son propriétaire.
Bon à savoir : Dans ce contexte, les salariés demandent à être payés deux fois par jour et le prix des repas change d’une heure sur l’autre !
Conséquences politiques et sociales
Impuissant face à cette crise économique, le gouvernement perd toute crédibilité. Avant que la République de Weimar ne se mette en place, des initiatives séparatistes fleurissent sur le territoire allemand. En Bavière et en Saxe la population se met en recherche d’indépendance économique dans un climat de guerre civile. Le gouvernement en place intervient tant bien que mal à coups de répression militaire et de négociation.
Le 9 novembre 1923, Munich, capitale de la Bavière, est le théâtre d’une tentative ratée de putsch de la part d’Hitler, entouré de 3 000 militants du parti nazi. Ces derniers agissent lors d’un discours porté par les trois dirigeants qui composent le triumvirat élu dans le land en question, devant plusieurs milliers d’individus. Mis en échec, Hitler est alors envoyé en prison.
Ce phénomène d’hyperinflation voit également renaître des initiatives de troc, notamment de la part des agriculteurs. En effet, ces derniers refusent d’être payés en mark allemand, d’autant plus que la plupart d’entre eux ne sont rémunérés qu’une fois par an.
Résolution de l’hyperinflation allemande
Les solutions mises en place
En 1923, le docteur Hjalmar Schacht est nommé commissaire à la monnaie de la nouvelle République de Weimar. Il mettra en place certaines des solutions qui résorberont l’hyperinflation en un temps record.
Introduite le 20 novembre 1923, la principale mesure consiste à adopter une nouvelle monnaie transitoire gagée sur l’économie allemande (sans cours forcé) : le Rentenmark. La valeur de celle-ci reprend l’ancienne valeur du mark de 1913, soit 1 000 milliards de marks actuels. Un dollar équivaut alors à 4,2 Rentenmarks.
Cette devise sera ensuite remplacée par le Reichsmark en date du 30 août 1924, définie sur l’étalon-or via le dollar américain. Accompagnée de mesures comme l’interdiction adressée aux agents privés d’imprimer des billets et la limitation stricte des crédits bancaires (pour réduire la vitesse de circulation de l’argent), la nouvelle devise retrouve la confiance des investisseurs.
En parallèle, le plan Dawes adopté en 1924 par le Royaume-Uni et les États-Unis :
- fixe un nouvel échéancier pour le remboursement des réparations ;
- reconstitue les réserves allemandes via un prêt en capitaux ;
- ordonne l’évacuation de la Ruhr par la France.
Malgré le fait que l’inflation soit résorbée, le cours élevé du Reichsmark entrave encore la croissance de l’Allemagne.
Les héritages et enseignements de l’hyperinflation allemande
L’hyperinflation germanique aura laissé de nombreux épargnants ruinés, en plus d’un traumatisme qu’on juge encore aujourd’hui présent dans la mémoire collective allemande. En effet, le pays est réputé pour sa frilosité face à l’inflation et à tout élargissement « facile » de la masse monétaire.
Avec la crise des années 1930, cette vision est d’ailleurs à l’origine de l’école allemande du néolibéralisme (aussi appelée ordo-libéralisme) qui soutient un système économique où la libre concurrence des prix est encadrée et organisée par l’État.
Ces principes font partie intégrante des fondamentaux économiques de l’Union européenne. Tendance à l’austérité, inflation limitée à 2% par la Banque centrale européenne (BCE), concurrence libre… Autant de critères qui démontrent aujourd’hui encore l’impact du traumatisme germanique sur la politique monétaire européenne.